Comment vous raconter cette histoire?
Jean Louis Stanislas a trois fils dont Georges qu’il envoie à Londres en Angleterre en 1883 pour y perfectionner son anglais chez un de ses amis, propriétaire d'un grand magasin londonien de confection : Georges y est vendeur au rayon des fournitures pour corsets et en profite pour y apprendre la prestidigitation, notamment à l’Egyptian Hall dirigé par John Nevil Maskelyne, où se produit le célèbre illusionniste David Devant qui l'initie à son art, Georges, lui, réalisant des décors en échange.
On peut mentionner qu'à son retour à Paris en 1885, Georges épouse une pianiste accomplie d'origine hollandaise, amie de la famille de sa mère qui lui apporte une belle dot, et qu'il se sent une vocation de forain, de pigiste et d'intermittent du spectacle : ainsi présente-t-il quelques numéros de magie dans des brasseries, à la galerie Vivienne et au cabinet fantastique du musée Grévin tout en étant journaliste et caricaturiste, sous le pseudonyme « Géo Smile », dans le journal satirique et anti boulangiste La Griffe, dont son cousin Adolphe est le rédacteur en chef.
un exemple de caricature de ce journal, le duel entre Paul Deroulède (nationaliste) et Jean Jaurès (socialiste) en 1904, 10 ans avant que chacun ne meure...
http://hendayehistoire.blogs.sudouest.fr/archive/2009/08/04/duel-jean-jaures-et-paul-deroulede-aux-joncaux.html
Il n'a donc rien d'un entrepreneur mais plutôt d'un amuseur de foire.
Jugez plutôt : quand son père décide en 1888 de se retirer de l’entreprise familiale pour la céder à ses trois fils, Georges préfère se dégager de la fabrique de chaussures et choisit de vendre ses parts dans l'entreprise familiale à un de ses frères pour 500 000 francs afin de poursuivre son itinéraire de saltimbanque.
Cela lui permet en effet de racheter en 1888 au 8, boulevard des Italiens le théâtre Robert-Houdin à sa veuve ;
http://www.artefake.com/MELIES-ET-LE-THEATRE-ROBERT-HOUDIN.html
dans la corbeille des transactions, par donation du père, se retrouve par ailleurs une grande maison à Montreuil, et a priori… une petite bicoque à Fontenay sous Bois.
Georges ne se pose guère de questions à ce rachat, et décide de garder toute l’équipe du théâtre. Et surtout la vedette de la troupe venue tenter sa chance à Paris ; mariée très jeune à Marcel Auguste Manieux, elle est déjà veuve ; elle voulait se faire appelée Fanny Manieux. Elle change et se choisit un nouveau nom d’actrice : que l'on connait aujourd'hui sous le nom de Jehanne d’Alcy. Déjà elle est à l’affiche, radieuse et splendide.
http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/48719-georges-melies-et-les-professionnels-de-son-temps.pdf
Sa beauté et sa petite taille séduisent immédiatement Georges qui en fera son amante et « sa » vedette, sa « star ». Parfois libertine comme on le verra un peu plus loin.
En 1891, Georges affirme ses choix et veut le faire savoir ; il crée donc l'Académie de Prestidigitation, qui se transforme en 1893 en Syndicat des Illusionnistes de France.
C'est à ce titre qu'il est invité à la première projection publique du Cinématographe des frères Lumière le 28 décembre 1895, au Salon indien du Grand Café de l'hôtel Scribe, 14 boulevard des Capucines à Paris, Georges comprend tout de suite ce qu'il peut faire avec une telle machine et propose d'acheter les brevets des frères Lumière.
Leur père, Antoine Lumière, ou l'un des frères, selon les versions et des souvenirs lointains recueillis le plus souvent auprès de vieillards, l'un des trois en tout cas tente de l'en dissuader : « Remerciez-moi, je vous évite la ruine, car cet appareil, simple curiosité scientifique, n'a aucun avenir commercial ! ».
Cet avis pessimiste sur l'avenir du cinéma est néanmoins corroboré par les souvenirs plus proches de l'un des opérateurs Lumière, Félix Mesguich, qui raconte comment Louis Lumière lui présenta son embauche en 1896 « Je ne vous offre pas un emploi d’avenir, mais plutôt un travail de forain. Ça durera un an ou deux, peut-être plus, peut-être moins. Le cinéma n’a aucun avenir commercial ».
Mais Georges est têtu : il achète le procédé de l'Isolatograph des Frères Isola et le projecteur Theatograph commercialisé à Londres par son ami, l'opticien et premier réalisateur de films anglais Robert William Paul. Il fonde sa propre société de production, et l’appelle la Star Film, car il vous une passion pour « sa » vedette » qui dépasse l'entendement. Il peut ainsi ainsi lui rendre hommage, avant même de l'avoir filmé pour la première fois devant ... la bicoque.
Le Kinematograph est né, avant de devenir le cinématographe. L’aventure plait à Georges qui du coup décide de construire un atelier sur le terrain adjacent à sa propriété de Montreuil, la bicoque de Fontenay sous bois étant trop exiguë pour l’accueillir.
La dite bicoque sera donc destinée à y accueillir Charlotte Lucie Marie Adèle Stéphanie Adrienne Faes, nom de jeune fille de Jehanne d’Alcy. CQFD.
Mais, comme dans tout conte à vocation féerique, l’histoire ne s’arrête pas tout à fait là :
Jehanne d’Alcy de fait ne cessera jamais d’être la maîtresse de Méliès (sa muse en fait) jusqu’à ce qu’elle .... devienne sa seconde épouse, .... en 1925 (sa première épouse, Eugénie Gérin, décède en 1913).
Parmi les repères importants de la bibliographie de Jehanne d’Alcy Notons ce film libertin …
https://www.youtube.com/watch?v=i0amO3A3LyY
qui est considéré comme le premier strip tease intégral jamais filmé….
sachant que l’on peut par ailleurs retrouver pas mal d’éléments la concernant ici
http://www.fantasfilm.org/image/SIT-7-1-LES%20ACTEURS-ALCY-JEHANNE-D.html
ou là
http://cinememorial.com/acteur_JEHANNE_D'ALCY_214.html
Pour la petite histoire, et pour résumer donc, Méliès (et oui Georges, c’est lui) a tourné ces courts métrage pour l’essentiel à Montreuil sauf ceux d’avant 1897. Sachant qu’il faut attendre le décès de sa première épouse pour le voir produire des films plus longs grâce à son alliance-absorption par Pathé Frères.
Si la Première Guerre mondiale n’a pas provoqué la disparition de la Star Films, malheureusement elle a conduit Méliès à un gel de ces paiements. Ces studios végéteront jusqu’en 1923, puis seront abandonnés.
Méliès aurait dû à cet instant « passer aux oubliettes » si on peut dire. Et l’histoire que je suis en train de vous raconter, forcément aussi.
Mais voilà, la redécouverte de Méliès a commencé au milieu des années 1920.
Après son arrêt d’activité formelle lui et Jeanne d’Alcy vécurent chichement, pour ne pas dire misérablement dans un minuscule appartement à Paris, l’ensemble de leurs biens ayant été finalement saisis en couverture des impayés.
En 1925, ils ouvrirent une boutique de jouets et de bonbons gare Montparnasse. Et c’est là que l’on s’intéresse de nouveau à eux : En 1926, Méliès devient le premier membre honoraire de la Chambre Syndicale Française de la Cinématographie.
En 1929, J.P. Mauclaire, directeur du cinéma Studio 28, trouve un lot de douze exemplaires de films teintés de Méliès. Un gala en son honneur est organisé à la salle Pleyel le 16 décembre avec la projection de huit de ses films.
La recherche d’autres archives est entamée sous l’impulsion de Jehanne d’Alcy et des enfants de Méliès issus de son premier mariage, mais pas dans l'ambiance la plus chaleureuse qui soit.... chacun tirant la couverture à soi...
Reste qu'en 1931 Mélies reçoit la croix de la Légion d’Honneur. En 1932, la mutuelle du cinéma décide de fournir à Méliès et à sa seconde femme des appartements plus grands au château d’Orly.
En 1934 il est nommé président honoraire de la Chambre Syndicale de la prestidigitation. Sa mauvaise santé l’a néanmoins empêché de poursuivre certains projets cinématographiques provisoires, émis par des admirateurs au sein de l’industrie cinématographique, et il meurt d’un cancer en 1938.
De son côté, et jusqu’à sa mort en 1956, Jehanne d'Alcy n’aura de cesse d’œuvrer à la reconnaissance de l’œuvre de son mari.
La voici filmée en 1952 par Georges Franju à sa demande à Orly
Le film relate entre autre le premier tournage devant la bicoque de Fontenay (voir à la 15’ à peu près, L’extrait se réfère au tournage- hommage à l’Egyptian Hall évoqué au début de mon propos et dont le théâtre Houdin se voulait la réplique française.
le lien vers la bande video la mieux conservée
https://www.youtube.com/watch?v=ibVqaIUXQEk
Au générique le fils de Méliès, André, issu de son premier mariage, et donc Jehanne d’Alcy qui y fait une apparition furtive ; ils ne sauront pas filmés ensemble, Franju lui-même donnant cette explication :
« les rapports entre le fils et sa belle-mère étaient si exécrables, qu’il m’était impossible de les faire jouer ensemble. » (Georges Méliès, l’illusionniste fin de siècle par Jacques Malhête, petit fils du cinéaste)
Cette anecdote relevée à l'occasion d'un entretien avec Franju.
La reconstitution présentée dans ce film ayant eu lieu « sur place » à la demande expresse de l’actrice. Au 148B de l’avenue de la république de notre ville a priori donc, où pour le moins dans un lieu le reconstituant.
Dans le film de Franju
L'état des lieux en 2008, alors qu'une construction nouvelle est en cours
La position des arbres semblent avoir été respectée dans le film.
On est en 1896, une année avant la création des studios et atelier installés à partir de 1897 à Montreuil.
Quelques explications circonstancielles :
Pour commencer, en 1896, Méliès, riche mais pas doué pour les affaires, voulut éviter de se lancer inconsidérément dans des constructions onéreuses et et c’est donc en plein air qu’il souhaite exécuter ses premiers travaux (châssis, couture des toiles, montage, assemblage, broquetage, mise à l’encre, peinture, praticables, mise en bobine...) avant de se rendre compte que cela n’était pas praticable en cas d’intempéries ; n'ayant pas encore indiqué à son épouse en titre qu'il avait comme favorite son amante, il se retire pour ce premier tournage clandestin, dans la bicoque.
Si l'essai est concluant, il se rend vite compte des inconvénients du lieu ; pas assez de recul pour son champ de vision et manque de place pour ranger les décors.
D’où lui vient l'idée de construire un studio véranda laissant passer la lumière du jour, l’éclairage dans le théâtre n’étant par ailleurs pas assez suffisant pour des tournages en salle par ailleurs.
Les commandes augmentant de façon régulière et sa réputation établie du premier coup devenant « notoriété », l’inventeur n’hésita plus et fit donc édifié le Studio A en 1897.
Prenant modèle sur les ateliers de photographie et se basant sur le recul nécessaire à son appareil de prise de vues pour obtenir des tableaux comportant environ 6 mètres d’ouverture…,
C’est ainsi que Méliès se borna à établir le plan d’une grande salle vitrée de tous côtés et recouverte d’un toit de verre. Il en arrêta les dimensions à 17 mètres de longueur sur 6 mètres de large : simple quadrilatère, couvert à 4 mètres de hauteur d’une toiture vitrée à double pente, le sommet étant à 6 mètres du sol.
Ce lien pour en savoir plus sur les studios de Montreuil.
http://www.artefake.com/Georges-MELIES-L-homme-orchestre.html
On peut AUSSI consulter ce dernier lien qui témoigne que Georges Mélies et Charlotte Faës (nom mis sur la tombe) partagent toujours un lieu en commun, cette fois, au Père Lachaise.
http://www.tombes-sepultures.com/crbst_1308.html
Voici l'une des rares photos où on les voit ensemble ; elle est référencée sous la double appelation Georges Méliès
Fanny Manieux....
sur la vie de Mélies je vous recommande
http://www.olphir.com/melies-georges.php
Pour les amateurs de références à la plus grande histoire: à lire
http://www.affairedreyfus.com/2012/05/melies-premier-cineaste-de-laffaire.html