Un article paru dans le quotidien
Le Monde, vendredi 4 mars 2011
Peut-on contrôler la hausse des prix de l’immobilier ?
Marchés immobilier : halte au feu !» s’alarme Christian Lefebvre, le président de la chambre des notaires, visant ainsi la flambée des prix d’achat des logements. A Paris, en 2010, le prix du m² s’est renchéri de 17,5%, selon les statistiques des notaires qui, au plan national, pronostiquent que le prix des appartements continuera d’augmenter, en 2011, de plus de 15% dans des villes comme Paris, Bordeaux ou Rennes, et de 5% à 10% à Nantes ou Lyon … De quoi désespérer les 40% de locataires qui se disent qu’ils ne parviendront jamais à accéder à la propriété, et les déjà propriétaires exilés en lointaine périphérie avec l’espoir de revenir, un jour, en centre-ville.
La volonté gouvernementale d’aider tous les Français à devenir propriétaires n’y peut rien : la cherté des logements interdit littéralement à 80% d’entre eux d’acheter dans les centres urbains des grandes métropoles. Avec un prix moyen de 7330 euros le mètre carré, seuls 3% des foyers peuvent acquérir un appartement à Paris. «Je suis harcelée par les habitants qui me demandent d’agir contre la spéculation immobilière», raconte Jacqueline Rouillon, Maire (PC) de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). «Nombre de fonctionnaires refusent de venir travailler chez nous à cause de la cherté des logements», déplore Marc Daunis, sénateur et maire (PS) de Valbonne (Alpes-Maritimes) et vice-président de la communauté d’agglomération Sophia-Antipolis (CASA). Ces élus tentent, chacun, à leur manière, de combattre le fléau.
Préempter pour contenir les prix A priori, le droit de préemption urbain (DPU) n’est pas fait pour contrôler les prix des logements, mais nombre de communes, en Seine-Saint-Denis notamment (Saint-Denis, Aubervilliers, Montreuil …) et du Val-de-Marne (Champigny, Ivry, Fontenay …) l’utilisent comme une arme de négociation avec les vendeurs jugés trop gourmands. Le DPU impose aux notaires, lors de chaque vente, d’adresser à la mairie une déclaration d’intention d’aliéner (DIA) désignant le bien, l’identité du vendeur et de l’acheteur, avec le prix. La mairie a deux mois pour dire si la commune achète ou non, à un prix fixé par la commune après avoir sollicité l’avis des Domaines. Avec ces DIA, la municipalité dispose d’un observatoire fin du marché immobilier sur son territoire. Préempter à bas prix permet aussi de ne pas créer de références de prix trop élevées, mais, au contraire, de tirer les prix vers le bas.
L’exemple de Saint-Ouen La municipalité de Saint-Ouen est celle qui a poussé le plus loin cette politique car elle souhaite contenir le prix d’un logement en bon état entre 3000 et 3500 euros le m² et décourage la venue de spéculateurs et d’investisseurs. Or, il n’est pas rare que des acheteurs acceptent de payer plus de 4000 euros le m² - il s’agit souvent de Parisiens qui franchissent le périphérique et trouvent ce prix raisonnable. Dès réception de la DIA, des experts communaux visitent le bien et fixent le prix de la préemption. S’engage alors une négociation avec le vendeur pour qu’il consente à baisser ses prétentions, ce qu’acceptent la plupart d’entre eux, et la préemption est alors levée. Faute d’accord, la municipalité lance une procédure de préemption qui durera de longs mois devant le juge des expropriations, sur la base de l’évaluation faite par les services des Domaines. Ainsi, en 2009, 39 biens ont été préemptés sur 549, soit 7%. Cette politique déplait naturellement beaucoup aux notaires et aux agents (dont aucun n’accepte d’être nommément cité) qui dénoncent «un marché détraqué, avec des dessous-de-table, et des pratiques qui lèsent les vendeurs, en ne leurs laissant pas de quoi se loger ailleurs …». Un ex-locataire parisien assure qu’il a pu, grâce à ce dispositif, profiter d’un rabais pour acheter, à Saint-Ouen, son 67 m² au prix de 220 000 euros au lieu des 272 000 euros initialement réclamés. A Pantin (Seine-Saint-Denis), où le prix moyen du mètre carré tourne autour de 3500 euros, le maire (PS) Bertrand Kern a, lui, fixé la barre à 4500 euros le m² : dès qu’une transaction dépasse ce montant, ses services examinent le dossier et, sauf bien exceptionnel, interviennent.
Plafonner les prix du neuf Pour les logements neufs, certaines mairies contraignent les promoteurs à respecter un prix plafond et à vendre à des acheteurs qui habitent ou travaillent sur la commune. «En 1995, nous avions lancé un programme en consentant un effort sur le prix du foncier, de façon à ce que le promoteur propose les appartements 7000 francs le m², au lieu de 13000 francs que permettait le marché, à l’époque», rappelle M. Daunis. «Dix-huit mois plus tard, nous nous sommes aperçus que 47% des logements étaient devenus des résidences secondaires et que des ventes avaient généré d’importantes plus-values. J’ai demandé à mes services "Que peut-on faire contre ça ?", et ils m’ont répondu : "Rien !"».
Clause antispeculative Tirant les leçons de cette expérience, la municipalité de l’agglomération niçoise a demandé, dans un programme suivant, que soit insérée dans les contrats de vente une clause dite antispéculative, qui prévoit qu’en cas de revente, la ville préempte au prix d’achat, réactualisé selon l’indice du coût de la construction, augmenté d’un coefficient pour tenir compte de l’inflation immobilière, particulièrement vive dans cette région. «Nous avons ainsi livré 91 logements au prix de 2245 euros le mètre, au lieu de 3500, Bouygues, le promoteur, ayant accepté d’ouvrir ses livres de compte et de limiter sa marge à 8%», indique M. Daunis. Le succès a été tel qu’il a fallu choisir les acheteurs parmi 600 candidats, sur des critères objectifs comme rapprocher les ménages de leur lieu de travail. «Au début je me suis fait traiter de collectiviste mais, aujourd’hui, cette clause est reprise dans plusieurs programmes de la CASA, présidée par le maire (UMP) d’Antibes, Jean Leonetti», se félicite M. Daunis.
Isabelle Rey-Lefebvre