Le général Jean-Bernard Pinatel est expert en géostratégie et en intelligence économique. Il tient le blog Géopolitique et géostratégie. Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages, dont Carnets de guerres et de crises aux Éditions Lavauzelle, 2014.
Le point central de la stratégie américaine visant à maintenir la suprématie mondiale qu'ils ont acquise en 1990 avec l'effondrement de l'URSS est d'empêcher la seule alliance qui peut la leur contester: l'alliance de l'Europe avec la Russie. A cette fin, ils n'ont pas cessé de provoquer la Russie en essayant d'étendre l'OTAN jusqu'à ses frontières, en cherchant même à y incorporer la Géorgie, patrie de Staline et l'Ukraine dont Kiev est la capitale historique des débuts de l'empire Russe. Tant en Géorgie qu'en Ukraine, ils ont provoqué la Russie, via Mikhail Saakachvili, agent de la CIA, devenu chef d'Etat, des Fondations et des soutiens financiers aux partis anti-Russe, dans le but d'installer une guerre froide en Europe. Ils ont presque réussi après la réaction Russe en Crimée et la rébellion du Donbass , entrainant les Européens dans des sanctions économiques contraires à leurs intérêts et réinstallant les prémices d'une guerre froide en Europe.
Mais au Moyen-Orient, porte orientale de l'Europe, les Etats-Unis de Bush et d'Obama ont commis plusieurs erreurs stratégiques qui risquent de mettre à mal leur objectif principal: empêcher la création de l' «Eurasie» .
Ils ont totalement sous-estimé la menace de l'islamisme salafiste que Bush a exacerbé avec la guerre puis l'occupation de l'Irak entre 2003 et 2011 et par leur soutien à Al Maliki, un Premier ministre corrompu et sectaire qu'ils ont installé à la tête de l'Irak en 2006 et soutenu jusqu'en 2014.
Quand l'Etat islamique a été proclamé, les Etats-Unis ont à nouveau sous-estimé sa nuisance et ont mis en place, à leur habitude, une politique de «containment» à base de frappes aériennes périphériques qui s'est avérée inefficace parce qu'ils n'ont pas voulu prendre les conditions politiques de sa réussite. En effet, ils n'ont pas voulu prendre le risque de se fâcher avec leurs alliés régionaux: la Turquie d'Erdogan, membre de l'OTAN, et l'Arabie saoudite qui tous deux soutiennent Daech. Ainsi l'Etat islamique, durant les années 2014 et 2015, a pu continuer en toute impunité à exporter son pétrole en Turquie, s'y réapprovisionner en armes et munitions et y soigner ses blessés ainsi qu' à recevoir de l'argent via l'Arabie saoudite qui est devenue la première lessiveuse de l'argent sale mondial grâce à l'opacité de ses banques.
Durant l'été 2015, alors que les armées d'Assad reculaient sur tous les fronts, seul Vladimir Poutine a perçu les risques d'une chute prochaine de Damas et les conséquences qui en résulteraient dans la population musulmane de la Fédération de Russie et a décidé d'intervenir massivement début septembre, permettant à l'armée syrienne de reprendre l'offensive.
En un week-end, les attentats de Paris, ont fait prendre conscience aux dirigeants français que continuer à suivre la politique américaine au Moyen-Orient allait conduire à mettre Paris et la France à feu et à sang. Un week-end à suffit à François Hollande pour abandonner la stratégie du «ni Assad ni Daech» dont il était le plus ardent promoteur et pour tendre la main à Poutine auquel il avait refusé, il y 6 mois à peine, de livrer les Mistral. Le dirigeant russe, très habilement, a fait comme si aucun nuage n'avait jamais existé entre la France et la Russie et a donné l'ordre à ses forces et à ses services de renseignement d'engager une coopération immédiate et sans réserve avec les Français.
Obama se trouve donc pour la première fois confronté au risque majeur de voir la France et les Français prendre conscience que, face à la menace du terrorisme salafiste, la Russie est leur meilleur allié.
Il se trouve donc devant une option stratégique cruciale:
1) Continuer à ménager l'Arabie saoudite et la Turquie tout en intensifiant ses frappes contre les ressources pétrolières de Daesh en espérant qu'il n'y aura pas d'autres attentats sanglants en France et en Europe durant les 2 ou 3 ans nécessaires pour éradiquer l'EI ;
2) Tordre le bras à Erdogan et à l'Arabie saoudite pour que le premier ferme sa frontière et que le second arrête le robinet financier, au risque se fâcher avec deux alliés déjà très en retrait après le rapprochement d'Obama avec l'Iran. Dans ce cas les efforts coordonnés de la coalition peuvent aboutir à la rapide déroute de l'Etat islamique.
Dans le premier cas, il risque de mettre en danger le cœur de sa stratégie mondiale: empêcher la création de l'Eurasie. Dans le second, il ne met en danger que sa stratégie régionale, sans conséquence sur son approvisionnement énergétique, les Etats-Unis approchant de l'autosuffisance avec le pétrole et le gaz de schiste.
François Hollande possède donc toutes les cartes en main pour exiger d'Obama qu'il choisisse de créer les conditions politiques à un succès rapide contre Daech pour ne pas mettre en cause la stratégie mondiale que les Etats-Unis conduisent depuis 1990.