À qui profite (vraiment) la prime de rentrée scolaire ?
Par Jean-Paul Brighelli / Vendredi 24 août 2018 à 10:0121
Depuis le 16 août, le gouvernement verse comme chaque année l’allocation de rentrée scolaire (ARS) à 2,8 millions de familles. L’enveloppe globale fut de 2,013 milliards d’euros en 2017. Elle sera globalement du même montant cette année. En bénéficient les familles comptant un ou plusieurs enfants âgés de 6 à 18 ans — qu’ils soient écoliers, étudiants ou apprentis — et sous conditions de ressources. Pour la rentrée 2018, c’est en croisant les revenus de 2016 et la situation familiale au 31 juillet 2018 que l’on détermine les heureux bénéficiaires, appartenant par définition à des niveaux de revenus bas ou modérés.
Le montant de l’allocation sera cette année de :
- 367,73 euros pour les élèves de 6 à 10 ans.
- 388,02 euros pour les 11 à 14 ans.
- 401,47 euros pour les 15 à 18 ans.
À Mayotte, ces montants sont surévalués de 2 euros — une aubaine… Par rapport à l’année dernière, ces allocations ont été réévaluées de 1%.
L’augmentation du prix des fournitures scolaires est de 1,05% — pour une inflation globale de 2,3% d’après l’INSEE en juillet. Familles de France, une organisation indépendante, évalue le coût de la rentrée à 193 euros pour un enfant entrant au collège (avec des variables selon le type de magasin où l’on fait ses achats). La confédération syndicale des familles arrive à un calcul équivalent. Au total, en prenant en compte l’ensemble des dépenses (transports, habillement, etc.), les familles devront débourser cette année 342 euros pour en élève entrant en sixième. Magnifique. L’allocation de rentrée est légèrement supérieure au coût global du bambin. Nous vivons des temps édéniques…
Oui — mais en lycée professionnel, par exemple, en raison des équipements spécifiques demandés, le coût de la rentrée en seconde pro est de 682,83 euros. Mais tout le monde sait que les élèves de lycées professionnels appartiennent à des populations aisées… Des sections où il n’est pas rare que l’on arrive en terminale après 18 ans — et donc sans l’aide de l’ARS. La gratuité des études, en France, est largement une fiction. Après tout, les parents n’achètent plus les manuels scolaires, fournis par les départements ou les régions — et subventionnés avec nos impôts. Les vrais cadeaux, cela n’existe pas. Mais cela n’est rien.
22 août. Au magasin Carrefour des quartiers nord de Marseille, les caddies font leurs emplettes dans le rayon… des téléviseurs à écrans large et des antennes paraboliques, si seyantes sur les frontons des HLM de nos cités — ces poêles à frire qui permettent de capter la Terrestre, la principale chaîne algérienne, ou Canal Algérie, ou ENTV 5 Kannat el Coraän, — ou les infos toujours si objectives d’Al Jazeera.
C’est à cela principalement que servent les allocations de rentrée scolaire dans ces quartiers déshérités. Le nombre d’enfants par famille permet ces achats somptuaires. Quant aux fournitures scolaires proprement dites, on se les passe d’un enfant à l’autre et d’une génération à l’autre. Pour ce qui est des desiderata précis des enseignants, il n’est pas rare qu’un élève n’achète rien, arrive au collège les mains dans les poches et « emprunte » à son voisin de quoi écrire — s’il consent à écrire. Et je ne mentionnerai que pour mémoire l’achat toujours différé d’un « Petit Classique » de l’Avare ou du Malade imaginaire. Et pourtant, ça ne coûte pas même la moitié d’un paquet de cigarettes.
Cela fait des années que nous prêchons pour que cette allocation soit versée sous forme de bons d’achat ciblés — cahiers, stylos, cartables, vêtements. Ce n’est pas bien difficile à mettre en place — on a su très vite le faire pendant la dernière guerre. Mais cela contrarierait le commerce lucratif engendré par cet afflux de liquidités — calculez ce que cela rapporte, d’avoir quatre enfants d’âge scolaire. Et quelles tentations immédiates, d’un emploi bien plus essentiel (regarder les matches de l’OM dans de bonnes conditions) peuvent ainsi être satisfaites. Ah, mais tant que les fabricants de téléviseurs, les annonceurs publicitaires et les prêcheurs de toutes convictions sont contents…
L’Education nationale est un gouffre insondable. Et pendant que l’on distribue ainsi les milliards qui iront trop souvent à l’industrie du divertissement, les élèves — ceux des quartiers nord, dont les établissements tombent en ruines, mais combien d’autres sur tout le territoire, dans des communes rurales où la main de l’Etat ne met jamais le pied, si je puis dire… Dire qu’il a fallu un article du New York Times pour faire toucher du doigt aux Français les disparités visibles dans le réseau des piscines — où les enfants en âge scolaire sont supposés apprendre à nager, ce qu’ils font de moins en moins.
L’allocation de rentrée scolaire est censée rééquilibrer un peu ces disparités affligeantes, génératrices d’échec scolaire et de rancœurs tenaces. Mais ce n’est pas à la scolarité des enfants qu’elle est, trop souvent, consacrée. Elle sert à fournit des « jeux » à des gens qui ont rarement du pain. Elle est, comme une foule d’allocations diverses, une façon d’acheter la paix sociale : il est plus facile de saupoudrer 2 milliards d’euros que de procurer du travail, de combattre le communautarisme, d’intégrer véritablement des populations qui végètent et ne subsistent qu’en se repliant sur leurs spécificités culturelles ou cultuelles.
Peut-être faudrait-il confier aux établissements cette manne, afin qu’ils l’utilisent à bon escient. Une lourde responsabilité, mais entièrement dans l’intérêt des enfants — dont je ne suis pas sûr que l’achat d’un écran plasma pour y visionner en boucle des programmes débiles ou communautaires (et l’un n’exclut pas l’autre) facilite les progrès scolaires d’enfants de plus en plus largués par un système scolaire qui a, depuis très longtemps, renoncé à former des citoyens en leur inculquant la culture française.
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et c'est un enseignant qui a pondu ce texte !