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| « Il faut résister aux nouveaux censeurs » et autres tribunes | |
| | Auteur | Message |
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a.nonymous
Messages : 14980 Date d'inscription : 30/05/2011
| Sujet: « Il faut résister aux nouveaux censeurs » et autres tribunes Lun 25 Nov 2019, 13:47 | |
| - Citation :
- Polanski boycotté, pièce annulée, conférences empêchées : « Il faut résister aux nouveaux censeurs »
Belinda Cannone Ecrivaine
Publié 25.11.2019
Tribune. C’est drôle comme une société peut soudain ne plus désirer la liberté. Je me souviens de cette conversation, fin 2017, avec un membre de l’Observatoire de la liberté de création, qui faisait cet alarmant constat : une bonne part des demandes de censure auxquelles cet organisme doit répondre provient, non plus des traditionnels réactionnaires de tout bord, mais de militants féministes et antiracistes. Dans un malaise grandissant, nous fûmes quelques-uns à évoquer de plus en plus souvent, entre nous qui ne sommes pas moins féministes et antiracistes, cette étrange dérive : les héritiers des chantres de la liberté sont en train de devenir les pires ennemis de la liberté.
Deux ans plus tard, échappant à présent à tout cadre légal ou judiciaire, la volonté de censure s’est amplifiée et elle se manifeste à la fois sur les réseaux sociaux et au travers d’actions directes. Je ne mentionnerai que quatre cas récents et spectaculaires de blocage : celui de la pièce Les Suppliantes, à la Sorbonne, celui de diverses projections de J’accuse, le film de Roman Polanski, ceux des conférences de la philosophe Sylviane Agacinski à l’université de Bordeaux et de François Hollande à l’université de Lille.
C’est à chaque fois la culture, le savoir et le débat qui furent attaqués, et à chaque fois la vertu qui cautionna les atteintes à la liberté. Certes, cette vertu a changé d’aspect depuis le XIXe siècle : les vociférations du procureur Pinard contre les œuvres de Baudelaire et de Flaubert ont laissé place à celles des néoantiracistes, des néoféministes et des défenseurs des LGBT. Mais ne nous y trompons pas : il s’agit encore et toujours d’empêcher par la force l’existence d’œuvres ou de réflexions qui ne répondent pas à une certaine idée de la morale et du Bien.
On sait que les réseaux sociaux peuvent faciliter le témoignage et accélérer la prise de conscience. Ainsi, l’événement #metoo a marqué une avancée pour la cause des femmes. Aujourd’hui est en train de se modifier un ensemble de « réflexes » qui présidaient aux relations entre les sexes. Les hommes découvrent la violence de certaines de leurs conduites. Mais on ne peut ignorer la limite de cette parole sans médiation et souvent anonyme : l’accusation peut être fausse et diffamatoire, et la personne calomniée n’en ressort jamais tout à fait indemne. On ne saurait donc admettre qu’Internet, où éclosent des procureurs de tout poil, tienne lieu de tribunal.
Je regrette qu’on veuille faire jouer ce rôle aussi à la presse. Il entre dans ses fonctions d’enquêter et de révéler les désordres qui traversent la société, assumant ainsi son rôle démocratique de contre-pouvoir. Mais elle ne doit pas se substituer à l’action de la justice. Les courageux propos d’Adèle Haenel – importants, car le cinéma français n’avait pas encore pris la mesure de ses mauvaises pratiques – ont été accompagnés de son refus d’en appeler à la justice. ---/---
Dernière édition par a.nonymous le Ven 29 Nov 2019, 21:01, édité 2 fois | |
| | | a.nonymous
Messages : 14980 Date d'inscription : 30/05/2011
| Sujet: Re: « Il faut résister aux nouveaux censeurs » et autres tribunes Lun 25 Nov 2019, 13:48 | |
| - Citation :
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C’est dommage. Si la justice fonctionne mal, on ne la contourne pas, on la réforme. Aussi sérieuses qu’aient été les investigations de Mediapart, elles n’équivalent pas à un procès. Et l’on vient de voir, à travers les déclarations de différentes sociétés de réalisateurs, comment la disqualification, implicite ou explicite, du système judiciaire, conduit à la tentation de bricoler la justice soi-même.
Comment expliquer ces multiples dérives et cette autopromotion de citoyens en justiciers ? D’abord, parce que ceux qui aujourd’hui musellent la parole et brûlent des livres ignorent sans doute l’histoire et les méthodes des totalitarismes du XXe siècle. Ensuite parce que, comme on sait, la France se signale dans le monde par le plus fort taux de défiance généralisée envers ses institutions, juste avant les pays pauvres et les zones de conflit.
Dans les opinions qui se répandent à grande vitesse dans la société civile, ce manque de confiance globale trouve sa traduction dans des « analyses » qui l’accentuent : on dénonce, à l’aide de notions aussi floues qu’inconsistantes, le « patriarcat » et le « racisme systémique » (entendez que le racisme serait organisé et promu au niveau de l’Etat). Par exemple, les magistrats français ont beau être pour moitié des magistrates, on dénonce leurs attitudes patriarcales… A quand les camps de rééducation pour combattre les inconscients retors ?
Sans confiance, pas de pacte social. Or, il faut se demander si nous vivons dans un pays totalitaire, où il serait tellement impossible de faire confiance à l’Etat et à ses institutions qu’on doive y intervenir par la force, ou si nous vivons dans un pays démocratique dont les citoyens peuvent (et même doivent), par le débat et la négociation, améliorer le fonctionnement des institutions. Les nouvelles ligues de vertu ont répondu : elles prétendent corriger par la force une société patriarcale et raciste. Mais attention : si les agissements des citoyens se modèlent sur ceux qui prévalent dans les pays non démocratiques, la défiance et le complotisme qui nourrissent le populisme risquent de gagner. Et nous deviendrions un pays totalitaire.
Enfin, cette volonté de punir et d’empêcher tient probablement au fait qu’on a essentialisé la position de victime. Aujourd’hui, on n’est plus victime de discriminations ou de violences, on est « Une Victime ». Alors, dans cette nouvelle vision d’un monde strictement polarisé entre dominants et dominés, oppresseurs et victimes, monde non complexe qui ressemble à s’y méprendre aux fictions grand public américaines, il n’y a d’autre choix que de mener par tous les moyens le grand combat du Bien contre le Mal.
Il faut résister aux nouveaux censeurs. Nous, défenseurs de l’Etat de droit, devons réaffirmer nos convictions démocratiques et, dans cette période troublée, maintenir notre exigence d’émancipation et notre désir de création. Car nous persistons à chérir la liberté.
Belinda Cannone est également maître de conférences à l’université de Caen. Elle a notamment écrit « La Tentation de Pénélope » (réédité en version augmentée chez Pocket) et a publié « La Forme du monde » (Arthaud, 160 pages, 13 euros) https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/11/25/il-faut-resister-aux-nouveaux-censeurs_6020417_3232.html | |
| | | a.nonymous
Messages : 14980 Date d'inscription : 30/05/2011
| Sujet: Re: « Il faut résister aux nouveaux censeurs » et autres tribunes Lun 25 Nov 2019, 20:31 | |
| - Citation :
- #MeToo : « La délégitimation des institutions n’offre aucune issue crédible aux victimes »
Denis Salas Magistrat
Publié 25.11.2019
Tribune. Depuis son émergence, le mouvement #MeToo est principalement porté par des femmes issues des milieux du cinéma ou des médias. La volonté d’exemplarité est leur but principal. Elles cherchent à libérer la parole d’autres femmes qui n’ont pas la chance d’avoir leur notoriété. Il faut saluer, en ce sens, le récent témoignage d’Adèle Haenel, comparable à une véritable déposition, accompagné d’une poignante lettre à son père et d’une longue enquête de Mediapart. Mais son refus de porter plainte en raison de l’inefficacité de la justice laisse perplexe. Il n’est pas certain que l’objectif d’exemplarité visé par ce type de témoignage, aussi fort soit-il, soit atteint tant il contredit son intention initiale.
Le moyen choisi pour y parvenir – la confession médiatique – est un circuit court qui donne immédiatement satisfaction aux énonciatrices. Elles sont reconnues dans leur souffrance, entourées de témoignages de réconfort, et leur agresseur, s’il est nommé (ce qui est souvent le cas), est immédiatement sanctionné. Soit que son nom soit cité, soit que sa nouvelle réputation entraîne des conséquences pour lui et ses proches. Le tribunal médiatique ne connaît ni objection ni cadre.
Son usage, comme toute accusation, porte une agression morale. Il accuse, nomme et condamne en même temps. Il ne connaît que le bien et le mal. La « peine » qu’il inflige est sans mesure. Absorbés par l’émotion, les principes du droit sont oubliés, balayés, vidés de leurs fonctions modératrices. Par un jeu d’ardoise pivotante, les persécutées d’hier deviennent les accusatrices d’aujourd’hui. Et prennent le risque d’engager la spirale mortifère de la vengeance.
Dire cela n’est pas blâmer leur initiative mais en désapprouver les conséquences. C’est refuser que la souffrance de la victime porte avec elle le châtiment de son agresseur. Sans discussion préalable. Sans écoute du point de vue de l’autre. Sans intervention d’un tiers de justice. Objection, du reste, entendue : après le témoignage d’Adèle Haenel, une poursuite a été déclenchée – sans plainte initiale, fait rare – pour agression sexuelle et harcèlement. Manière pour la justice, quelque peu bousculée dans cette affaire, de réaffirmer sa place de tiers. La charge de l’accusation sera ainsi nommée et examinée dans le respect des droits de chacun, sans pour autant déposséder la plaignante de son récit.
Reste que la délégitimation des institutions qui s’en dégage n’offre aucune issue crédible aux victimes qui n’ont pas de médias à leur disposition. Pire encore : elle les laisse désemparées devant un tel constat de défiance. En voulant servir d’exemples à suivre, ces lanceuses d’alerte ferment les voies de l’émancipation. Une fois disqualifiée la justice au motif qu’elle « condamne si peu les agresseurs », quelle issue leur reste-il ?
S’il est établi que seulement 10 % des personnes déclarant un viol déposeront finalement plainte et que sur cette faible part, seulement 10 % à 15 % de ces plaintes aboutiront à une condamnation, ne faut-il pas tenter de comprendre cela avant d’en tirer des conclusions hâtives ? Comprendre que ces faits sont le plus souvent commis dans l’intimité familiale et donc invisibles et sans témoins. Comprendre qu’il n’est pas simple qu’une jeune fille dénonce une personne de son entourage, que la honte et la culpabilité peuvent la faire hésiter. Et qu’il faut du temps pour lever cette honte et assumer une démarche en justice qui ne repose le plus souvent que sur sa parole.
Démarche, au demeurant, incertaine, blessante, voire douloureuse. Précipitées dans une procédure au long cours, ces plaignantes n’imaginaient pas qu’un jour, leur vérité deviendrait une « version des faits ». Nombre de plaintes sont classées pour « infraction non caractérisée » et, si elles prospèrent, se heurtent à une défense active, aux doutes du juge, aux dénégations du mis en cause, sans compter les pénibles séances d’auditions qui jalonnent ce parcours. ---/--- | |
| | | a.nonymous
Messages : 14980 Date d'inscription : 30/05/2011
| Sujet: Re: « Il faut résister aux nouveaux censeurs » et autres tribunes Lun 25 Nov 2019, 20:32 | |
| - Citation :
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Rappelons-le : le procès pénal n’est nullement construit pour être un lieu d’accueil et d’écoute de la seule victime. Il s’est même édifié pour se substituer aux vindictes privées, afin de punir les seules infractions à la loi. Sa structure tout entière est polarisée par l’auteur : sa biographie, ses moindres faits et gestes, sa famille, son Facebook et sa téléphonie… sont longuement scrutés. Dans ce face-à-face Etat/infracteur, la victime n’apparaît que pour dire ce qui lui est arrivé et chiffrer son préjudice.
Un tel schéma n’a plus cours. Le procès est pour partie reconfiguré par la victime qui veut se réapproprier sa capacité de récit qui lui a été dérobée. L’infraction (le mal commis) nécessite autant de temps et d’attention que la violation (le mal subi). De nombreuses plaignantes, tous les jours, font face à leurs agresseurs dans un prétoire. Et là, dans la confrontation directe, elles savent imposer leur récit. On y retrouve l’esprit d’une justice restauratrice qui cherche à satisfaire les victimes sans exclure a priori les auteurs, bien au contraire. Ainsi, elles découvrent qu’elles ne sont pas condamnées à l’impuissance par un effet de sidération ou d’emprise.
J’ai vu moi-même une gamine de 12 ans crier à son père plongé dans le déni que oui, cela s’est passé dans le vestiaire de gym, rappeler la couleur de la serviette ce jour-là, la bague qu’il portait… et devant cette accumulation de détails lancés en pleine figure comme une violence de la vérité, voilà que le père s’effondre et reconnaît que tout ce que sa fille a dit est vrai. J’imagine qu’elle a pu ensuite le rencontrer au parloir et renouer avec lui. Quand une jeune fille a été réduite à un objet sexuel, elle veut croire malgré tout que celui qui l’a traitée ainsi peut se secouer. Qu’il mette une distance entre son acte et lui. Qu’il réveille sa conscience morale au contact de son cri d’indignation. Même si rien de tel ne se produit, son témoignage résonne comme la présence maintenue de cette conscience que l’accusé a reniée pour s’enfoncer dans le déni.
Alors, que dire aux plaignantes ? D’abord, que le dépôt d’une plainte est pour elles une épreuve, mais qu’elles seront accompagnées dans ce parcours par des éducateurs (si elles sont mineures), leur avocat et des associations. Cette épreuve n’est pas un aveu de faiblesse, mais une manière de retrouver une capacité d’agir. Elle ne débouchera pas forcément par un résultat espéré car il faudra convaincre et prouver. Mais, pour autant, s’il y a des charges assez sérieuses qui pèsent contre son agresseur, une enquête sera déclenchée, des policiers viendront l’entendre, bref, sa parole sera prise au sérieux.
A partir de ce moment, le viol ou l’agression sexuelle sont nommés. La plaignante s’exprime officiellement. Sa parole est un acte d’énonciation qui a des effets juridiques. En contraignant son agresseur à prendre un avocat pour se défendre, elle le place sur son terrain. Elle trouve la force de tordre le mal dans l’autre sens. L’ancien rapport de force plie devant le rapport de droit qu’elle instaure. Ce pouvoir conquis s’oppose à l’indifférence méprisante et dénégatrice.
Rien ne dit que le but de la plainte soit d’infliger une peine. Il y a des finalités bien plus hautes, comme la qualité de l’audience et des silences, l’échange des regards, l’intensité d’une prise de parole. Si l’esprit d’une rencontre réparatrice souffle sur l’audience pénale, si les professionnels savent entendre cette exigence nouvelle, la défiance qui affecte leur travail sera moindre. Tant il est vrai que la justice est une médiation imparfaite et, pour cela même, vouée à réinventer ses propres formes.
Denis Salas est magistrat. Essayiste, il est notamment l’auteur de La Foule innocente (Desclée de Brouwer, 2018). https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/11/25/denis-salas-la-delegitimation-des-institutions-n-offre-aucune-issue-credible-aux-victimes_6020399_3232.html | |
| | | a.nonymous
Messages : 14980 Date d'inscription : 30/05/2011
| Sujet: Re: « Il faut résister aux nouveaux censeurs » et autres tribunes Mer 27 Nov 2019, 21:59 | |
| - Citation :
- En matière d’agressions sexuelles, « l’impartialité de la justice n’est pas de l’indifférence »
Publié le 25 novembre 2019
Tribune. En matière de violences faites aux femmes, la justice inspire-t-elle confiance ? Cette question ne peut qu’interpeller les magistrats qui œuvrent au quotidien dans les tribunaux. Nous voulons dire aux femmes victimes, et surtout à celles qui ne peuvent pas se saisir de l’espace médiatique pour accuser, qu’elles doivent se tourner vers la justice, qui est et doit être au service de toutes et tous.
L’institution judiciaire est en effet consciente de la gravité et de l’ampleur du phénomène. Les procureurs et les juges traitent chaque jour, audience après audience, les affaires d’agressions sexuelles et de viols, de violences conjugales et de féminicides, de harcèlement et de dénigrements sexistes. Devant eux se déroule le continuum des violences faites aux femmes, qu’ils s’efforcent de juger avec humanité et humilité.
Bouches de la loi, gardiens constitutionnels des libertés individuelles, adossés aux règles de procédure pénale comme civile, les magistrats sont tenus de respecter tant la présomption d’innocence que le principe du contradictoire. Les enceintes judiciaires, sanctuarisées par des siècles de civilisation et des décennies de démocratie, doivent rester les lieux de la justice, des plaintes légitimement entendues et des sanctions légalement prononcées.
Dans tous ses périmètres de compétence et domaines d’action, la magistrature agit, analyse, évalue, propose, forme.
Dans les tribunaux, en lien étroit avec les avocats et les associations d’aide aux victimes, des politiques de juridiction sont mises en œuvre par les présidents et les procureurs, concernant toutes les formes de violences faites aux femmes. L’engagement et le volontarisme des juges aux affaires familiales, des juges des enfants, des juges correctionnels, des substituts du procureur permettent la mise en place de protocoles pour les ordonnances de protection, d’audiences correctionnelles spécialisées, de magistrats référents pour l’attribution des « téléphones grave danger » [dispositif qui peut être attribué à certaines victimes de violences conjugales qui risquent un viol, une agression ou un meurtre], de bureaux d’aide aux victimes proposant un suivi personnalisé, etc.
La conférence des procureurs de la République a rappelé, le 19 novembre, la détermination des responsables de l’action publique à assurer l’efficacité de la chaîne pénale aux fins d’identification et de poursuite des auteurs de crimes et délits intrafamiliaux.
A la Cour de cassation, le 15 novembre, un colloque intitulé « La lutte contre les violences au sein du couple : les défis de la justice » a réuni de nombreux magistrats engagés à interroger leurs pratiques professionnelles. Cela a été l’occasion de rappeler que, historiquement au fil des années, les outils ou les innovations proposées ont eu pour origine des magistrats de terrain, le TGD ou le bracelet antirapprochement par exemple.
L’inspection générale de la justice a étudié 88 dossiers jugés de féminicides pour en tirer les enseignements et, sous forme de retours d’expériences, corriger ce qui nuit à la réactivité de l’institution face aux plaintes déposées ou aux situations de danger qui lui sont signalées.
A l’Ecole nationale de la magistrature, des supports innovants et pratiques ont été conçus à destination des magistrats, qui sont désormais obligatoirement formés à la spécificité de ce contentieux à l’occasion de leur changement de fonction. Ils apprennent ainsi à juger en connaissant pleinement les mécanismes qui ont été théorisés : cycle de l’emprise, oubli traumatique, difficulté de déposer plainte, paralysie de la victime.
Ainsi, contre les violences faites aux femmes, existe une magistrature en action, sur le terrain, qui souhaite incarner des valeurs d’égalité, d’écoute des justiciables et de protection des victimes. Une justice, à l’image de la société, qui progresse et s’adapte pour mériter la confiance. Des femmes et des hommes de justice qui affirment que l’indépendance n’est pas l’isolement et que l’impartialité n’est pas l’indifférence. ---/---
Dernière édition par a.nonymous le Mer 27 Nov 2019, 22:01, édité 2 fois | |
| | | a.nonymous
Messages : 14980 Date d'inscription : 30/05/2011
| Sujet: Re: « Il faut résister aux nouveaux censeurs » et autres tribunes Mer 27 Nov 2019, 22:00 | |
| - Citation :
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[Signataires:] Sonia Breton, juge aux affaires familiales au TGI (tribunal de grande instance) de Pontoise ; Claire-Marie Casanova, présidente du TGI de Vesoul ; Eric Corbaux, procureur de la République près le TGI de Pontoise ; Benjamin Deparis, président du TGI d’Evry ; Valérie-Odile Dervieux, procureure de la République adjointe près le TGI de Versailles ; Edouard Durand, vice-président chargé des fonctions de juge des enfants au TGI de Bobigny ; Isabelle Fort, substitute générale près la Cour d’appel d’Aix-en-Provence ; Gwenola Joly-Coz, présidente du TGI de Pontoise ; Ombeline Mahuzier, procureure de la République près le TGI de Châlons-en-champagne ; Eric Mathais, procureur de la République près le TGI de Dijon, président de la conférence des Procureurs de la République ; François Molins, procureur général près la Cour de Cassation ; Joëlle Munier-Pacheu, présidente du TGI de Caen et présidente de la Conférence nationale des présidents de TGI ; Stéphane Noël, président du TGI de Paris ; Jennyfer Picoury, présidente du TGI de Chalons en Champagne ; Françoise Pieri-Gauthier, procureure générale près la cour d’appel de Nîmes. https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/11/25/les-enceintes-judiciaires-doivent-rester-les-lieux-de-la-justice_6020415_3232.html | |
| | | a.nonymous
Messages : 14980 Date d'inscription : 30/05/2011
| Sujet: Re: « Il faut résister aux nouveaux censeurs » et autres tribunes Ven 29 Nov 2019, 21:04 | |
| - Citation :
- « Juger les créateurs du passé avec notre morale d’aujourd’hui invite à censurer Hitchcock, Michael Jackson ou Céline »
Publié 29.11.2019
Chronique. Le mouvement #metoo a libéré la parole des femmes, mais a-t-il enfermé les œuvres dans une boîte morale ? Les créateurs et responsables culturels sont tétanisés par le sujet. Ils le confient à mots couverts. Au point qu’on se demande si, demain, il sera possible de se confronter à un tableau, un film, une pièce de théâtre ou un roman, sans que le jugement soit parasité par la vertu, ou non, de son auteur, et passé au tamis de nos valeurs.
On l’a vu avec le film J’accuse, de Polanski, qui a failli être interdit dans six salles de Seine-Saint-Denis. Il a fallu un tollé pour repousser la censure et les mots ironiques de Stéphane Goudet, directeur du cinéma Le Méliès, à Montreuil, demandant si « un comité de vérification de la moralité des artistes programmés était prévu ». Cet épisode est symptomatique de l’époque, d’autant que plusieurs salles en France ont annulé des projections du Polanski.
La menace sur les œuvres est souvent plus subtile. A Londres, la prestigieuse National Gallery, qui expose en ce moment des portraits de Gauguin, a averti le public que cet artiste, au tournant des XIXe et XXe siècles, résidant et peignant en Polynésie, a « profité de sa position d’Occidental privilégié » pour avoir des relations sexuelles avec des fillettes de 13 ou 14 ans. Farah Nayeri est plus brutale dans le New York Times : « Est-il temps d’arrêter de regarder Gauguin ? » Le verbe est « cancel ». Annuler. Pas un hasard. Les Etats-Unis sont gagnés par une cancel culture, soit l’effacement des créateurs non convenables.
En réponse, Jonathan Jones, le critique d’art du Guardian, à Londres, dit où mène cette campagne de nettoyage de l’art. Selon lui, réduire Gauguin aux portraits, aux fleurs aussi, est stupide au regard d’une œuvre bien plus riche. C’est aussi une façon d’évacuer des tableaux plus « intenses », à savoir les nus polynésiens, et donc, les femmes que Gauguin aurait bafouées, alors même que la National Gallery regorge ailleurs de tableaux de femmes blanches et nues – belle hypocrisie.
« Si nous ne pouvons pas voir l’art, nous ne pouvons pas en débattre », conclut Jonathan Jones. Débattre de ceci : dans une Europe gangrenée par le racisme et l’impérialisme, Gauguin est un des rares artistes partis peindre, avec bienveillance, un peuple colonisé et soumis aux codes blancs. Son « primitivisme », confirme fort bien notre confrère du Monde Philippe Dagen dans son livre Primitivismes, une invention moderne (Gallimard, 400 pages, 35 euros), était celui d’un progressiste respectueux des cultures non occidentales.
Anne-Claude Ambroise-Rendu, à qui on doit une Histoire de la pédophilie (Fayard, 2014), ajoute dans Le Point qu’à la fin du XIXe siècle, comme la loi punit tout attentat à la pudeur sans violence en dessous de 13 ans, on peut tout reprocher à Gauguin mais le traiter de pédophile « est absurde ». Gauguin est complexe mais la complexité n’est pas dans l’air du temps.
L’air du temps est de réévaluer les grands noms de la culture, notamment dans les musées anglo-saxons, et de nettoyer les cartels d’œuvres de leurs marqueurs raciaux – nègre devient noir, etc. Des musées multiplient aussi les avertissements, comme la Tate Britain de Londres, qui expose en ce moment William Blake (1757-1827) et prévient le public qu’il verra « des traitements brutaux infligés à des esclaves ». En 2018, l’artiste Michelle Hartney est allée plus loin : à l’insu du Metropolitan Museum de New York, elle a collé des étiquettes à côté d’œuvres pour dénoncer Gauguin (prédateur sexuel), Balthus (obsédé par des jeunes filles) ou Picasso (misogyne). ---/--- | |
| | | a.nonymous
Messages : 14980 Date d'inscription : 30/05/2011
| Sujet: Re: « Il faut résister aux nouveaux censeurs » et autres tribunes Ven 29 Nov 2019, 21:07 | |
| - Citation :
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Dans un autre registre, la plate-forme de vidéos Disney+ propose depuis le 12 novembre aux Etats-Unis toutes sortes de films. Estimant que les dessins animés Blanche Neige ou Cendrillon donnent une mauvaise image des femmes, Disney avertit l’abonné qu’il peut tomber sur « des représentations dépassées ». Cette firme avait déjà censuré une scène de Toy Story 2 où l’on voit un papy qui drague deux Barbie. A ce rythme, une grande partie du cinéma d’antan doit être recadrée, par exemple Rivière sans retour, d’Otto Preminger, où, par deux fois, Robert Mitchum malmène sèchement Marilyn Monroe.
Ce climat inédit peut mener à minorer des artistes – la conservatrice de musée, Ashley Remer, qualifie Gauguin de « pédophile arrogant et surestimé ». Il y a le risque, aussi, de privilégier des créateurs qui débordent de bons sentiments alors que l’art n’a pas à être moral. Dans Le Monde le 24 octobre, notre confrère Arnaud Leparmentier décrivait le Musée d’art moderne de New York agrandi comme multiculturel et sans « la moindre œuvre qui dérange ».
La question centrale est celle de l’anachronisme. Juger les créateurs du passé avec notre morale d’aujourd’hui invite à censurer Hitchcock, Michael Jackson, Céline, Egon Schiele, Balthus, Nabokov, Cervantès, Shakespeare, Monet, Picasso et tant d’autres. Nathalie Bondil, la directrice du Musée des beaux-arts de Montréal, a trouvé la juste mesure : « Contre la censure mais contre l’indifférence. »
Et puis arrêtons d’infantiliser le public. Faisons-lui confiance. Lui dire ce qu’il faut penser, c’est parasiter sa rencontre intime avec les œuvres. Philippe Lançon, auteur du Lambeau (Gallimard, 2018), l’explique magnifiquement à propos de Polanski dans Charlie Hebdo du 20 novembre. Au contraire, des lieux de création s’autocensurent par crainte d’un concept en vogue, le relativisme culturel, déjà bien ancré dans l’université américaine : la liberté de création n’est pas absolue, elle s’arrête là où commence le droit de communautés qui demandent des « safe space » – des espaces où leurs convictions ne sont pas heurtées.
Inquiétant ? Disons cyniquement que le meilleur rempart contre les nouveaux censeurs est économique. Les artistes qui attirent les foules dans les musées sont des hommes, blancs, morts. Gauguin, par exemple.
Michel Guerrin (rédacteur en chef au « Monde ») https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/11/29/demain-sera-t-il-possible-de-se-confronter-a-un-tableau-ou-un-film-sans-que-le-jugement-soit-parasite-par-la-vertu_6020943_3232.html | |
| | | a.nonymous
Messages : 14980 Date d'inscription : 30/05/2011
| Sujet: Re: « Il faut résister aux nouveaux censeurs » et autres tribunes Dim 12 Jan 2020, 16:58 | |
| - Citation :
- « Une société sans oubli est une société tyrannique » : pourquoi le principe juridique de la prescription est remis en cause
Par Anne Chemin Publié le 10 janvier 2020
AQUINDO
C’est un mot que les amoureux des droits de l’homme, jadis, chérissaient, mais qui suscite aujourd’hui de fortes réserves chez ceux qui s’en réclament. Par un étrange mouvement de balancier, la prescription, qui était autrefois considérée comme un pilier incontournable des droits de la défense, est devenue, aux yeux de certains militants contre les violences sexuelles, une entrave intolérable à l’œuvre de justice : dans l’affaire Polanski comme dans celle du père Preynat, elle est perçue comme « un abandon par la justice de ses devoirs, un signe d’indifférence envers les victimes et un manquement au devoir de mémoire », résume l’avocat Jean Danet dans la revue Archives de politique criminelle (n° 28, 2006).
La prescription, qui interdit au procureur de la République de poursuivre un délinquant au-delà d’un délai fixé par la loi, vient du latin praescribere – tracer, par un acte écrit, une limite dans le temps. Comme l’amnistie ou la grâce, elle appartient à la grammaire de l’oubli. « La prescription suspend automatiquement le cours de la justice au bout d’un certain temps, souligne Mathieu Soula, professeur d’histoire du droit à l’université Paris-Nanterre. Elle est distincte de la grâce, qui est un geste personnel de pardon émanant d’un souverain ou un président, mais aussi de l’amnistie, qui consiste à effacer volontairement certaines infractions par la loi. »
Parce qu’elle garantit, au terme de longues années, l’oubli du crime, la prescription est aujourd’hui accusée d’être l’alliée voire la complice des délinquants – au point que certaines associations de victimes plaident en faveur de l’imprescriptibilité de la délinquance sexuelle. Cette idée qui aurait été spontanément associée, il y a quelques années, à la droite, voire à l’extrême droite, séduit une figure de la gauche comme Ariane Ascaride. « Pourquoi y aurait-il prescription ?, s’insurgeait l’actrice, le 22 novembre, sur France Inter, en évoquant la délinquance sexuelle. Je ne suis pas d’accord. Il ne faut pas qu’il y ait prescription, c’est tout ! »
L’emportement d’Ariane Ascaride est celui d’une société tout entière. « Depuis une trentaine d’années, un mouvement d’opinion très puissant cherche à faire mémoire en remettant en cause les délais, voire le principe de la prescription », observe le magistrat Denis Salas, président de l’Association française pour l’histoire de la justice. Au fil des ans, ce mouvement a fini par déplacer les frontières légales de l’oubli. « S’il est une tendance essentielle à relever en droit comparé, en France comme dans le monde entier, c’est le recul de la prescription », résumait en 2018 le magistrat Jean-Paul Jean dans la revue Histoire de la justice.
En 2017, le législateur a en effet doublé les délais de prescription inscrits en 1808 dans le code d’instruction criminelle de Napoléon : le procureur peut désormais poursuivre les délits pendant six, et non plus trois ans ; les crimes pendant vingt, et non plus dix ans. A cette réduction générale de la prescription, s’est ajoutée une foule d’« exceptions en tous genres », selon le mot de l’avocat Jean-Pierre Choquet. Pour protéger la parole des mineurs, les viols peuvent ainsi être poursuivis trente ans après la majorité de la victime : un enfant agressé peut porter plainte jusqu’à l’âge de 48 ans.
Cette refonte du calendrier de l’oubli a permis au législateur de définir une nouvelle échelle de gravité du crime : en allongeant la prescription de la délinquance sexuelle, il a placé ces infractions au sommet de la hiérarchie du mal. « La force symbolique du droit permet de réagencer les catégories de l’excusable et de l’inexcusable, souligne le juriste Mathieu Soula. Au cours des dernières décennies, le législateur a installé les infractions sexuelles sur les mineurs au bord de l’inoubliable : ce geste politique permet de proclamer haut et fort que la défense de l’enfance structure désormais notre ordre social. »
Les exceptions sont cependant devenues si nombreuses que les juristes rivalisent de métaphores pour décrire le capharnaüm de la prescription : le magistrat Christian Guéry le compare à un cauchemar de Kafka, le professeur de droit Michel Véron à la cour chaotique du roi Pétaud – expression qui a inspiré le terme de « pétaudière ». « Depuis quelques années, cet empilement indigeste d’exceptions nous a fait perdre de vue la raison d’être de la prescription, regrette Carole Hardouin-Le Goff, maître de conférences en droit privé à l’université Paris-II-Panthéon-Assas. Nous refusons de l’abolir mais nous faisons tout pour l’empêcher d’advenir : nous avons oublié le rôle salutaire et salvateur de l’oubli. » ---/--- | |
| | | a.nonymous
Messages : 14980 Date d'inscription : 30/05/2011
| Sujet: Re: « Il faut résister aux nouveaux censeurs » et autres tribunes Dim 12 Jan 2020, 16:59 | |
| - Citation :
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Si la justice est mémoire – le procès consigne le souvenir du crime, le casier judiciaire celui de la condamnation –, elle ne peut en effet se concevoir sans éclipses.
« Le système de la vengeance privée et la justice privée ont longtemps permis à la victime, parfois même à ses descendants, de poursuivre l’agresseur jusqu’à la fin des temps, poursuit la juriste. L’Etat de droit a mis un terme à ce cycle infini de la vengeance : si le trouble engendré par l’infraction a disparu, si le climat social s’est apaisé, il n’y a aucune raison de rouvrir les plaies en déclenchant l’action pénale. Le droit répressif moderne est un droit raisonné : il n’est pas là pour punir à tout-va. Une société sans oubli est une société tyrannique. »
Pour le philosophe Jean-Philippe Pierron, professeur à l’université Jean-Moulin-Lyon-III, la prescription est en effet une manière « d’apaiser la violence qui hante la vie des hommes ». Justice doit être rendue, bien sûr, mais le procès n’est pas toujours le « dernier mot du social, de la réalité sociale et de ce qui la rend vivable », souligne-t-il dans Les Cahiers de la justice (no 4, 2016) : l’oubli pacifie le monde commun parce qu’il tente d’équilibrer « le désir de vengeance dans l’illimitation et l’attente de sécurité et de stabilité du corps social ». La prescription, résume Homère, interdit à l’homme mortel de conserver une haine immortelle.
Au nom de cette philosophie, le juriste et homme de lettres italien Cesare Beccaria (1738-1794) défendait au XVIIIe siècle le principe de la prescription – même s’il la réservait alors aux délits « ignorés et peu considérables ». « Il faut fixer un temps après lequel le coupable, assez puni par son exil volontaire, peut reparaître sans craindre de nouveaux châtiments. En effet, l’obscurité qui a enveloppé longtemps le délit diminue de beaucoup la nécessité de l’exemple et permet de rendre au citoyen son état et ses droits, avec le pouvoir de devenir meilleur. » Un siècle plus tard, le jurisconsulte Faustin Hélie (1799-1884) proposait d’étendre la prescription aux infractions les plus graves. « Le temps amène l’oubli et la miséricorde, et la peine trop longtemps attendue prend quelque chose de cruel, et même d’injuste. »
Plus près de nous, le doyen Jean Carbonnier (1908-2003) aimait, lui aussi, célébrer les vertus de la prescription. Si l’oubli est encadré, il ne met pas en péril l’ordre social, affirmait-il en 1969 dans Flexible droit. « C’est défigurer la réalité humaine qui s’exprime dans les systèmes juridiques modernes que de n’en retenir qu’un besoin d’ordre, de régularité, partant de ponctuelle et totale effectivité des règles de droit. » Au bout d’un certain temps, il n’est plus temps, résume Denis Salas : il faut que la société respire. « La fatigue de trop punir creuse les sommeils de la justice, estime-t-il. Dans La Mémoire, l’histoire, l’oubli (Seuil, 2000), Paul Ricœur souligne très justement que la société ne peut pas être en colère contre elle-même en permanence. »
A cet éloge de l’apaisement du temps, se sont ajoutées, pour justifier la prescription, des considérations procédurales. Certains ont affirmé que le dépérissement des preuves et la fragilité des témoignages pouvaient, dans un procès trop tardif, engendrer des erreurs judiciaires. D’autres ont souligné que la prescription permettait de sanctionner la négligence du ministère public, qui n’avait pas su exercer les poursuites en temps et en heure. D’autres, enfin, ont estimé que le temps passant, la personnalité du délinquant changeait, voire qu’il purgeait, avec les années, une peine « naturelle » nourrie par le remords et la crainte d’être démasqué.
Parce que la justice a toujours été pensée en relation étroite avec l’oubli, la prescription est très ancienne : elle apparaît pour la première fois, dans le droit romain, au début de notre ère. Sous le règne d’Auguste, la loi julia de adulteriis (en 18 ou 17 avant Jésus-Christ) instaure ainsi une prescription pour certains delicta carnalia (« délits de la chair ») comme l’adultère. En France, au Moyen Age, la prescription relève plus des coutumes que de la loi – même si la charte d’Aigues-Mortes, renouvelée par Saint Louis en 1246, interdit à la justice d’enquêter sur un crime après une période de dix ans.
Il faut attendre la Révolution pour que le principe de la prescription figure dans la loi. « Cette idée qui imprègne le droit de l’Ancien Régime est inscrite pour la première fois dans le code pénal de 1791, raconte le juriste Mathieu Soula. Les révolutionnaires estiment alors que la justice doit assurer la stabilité de l’ordre politique et social, mais qu’elle doit aussi être la gardienne des libertés individuelles. La prescription permet de protéger les citoyens des poursuites ad vitam aeternam : c’est une manière de limiter l’action de l’Etat. Les révolutionnaires veulent éviter que la justice exerce une emprise sans fin sur les individus. » ---/--- | |
| | | a.nonymous
Messages : 14980 Date d'inscription : 30/05/2011
| Sujet: Re: « Il faut résister aux nouveaux censeurs » et autres tribunes Dim 12 Jan 2020, 17:00 | |
| - Citation :
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Une vingtaine d’années plus tard, le code d’instruction criminelle de Napoléon (1808) consacre un chapitre entier à la prescription. « La paix sociale semble demander que la vindicte publique ne demeure pas irrévocablement armée et agissante, qu’elle se calme et s’arrête dans certains cas, après un cours de temps plus ou moins long selon les circonstances, estime, en 1808, le rapporteur Louvet en soulignant les bienfaits du temps, ce « grand modérateur des choses humaines ». « De là vient, Messieurs, que les peuples les plus renommés par leur sagesse ont, en général, et après un temps donné, consacré l’oubli des injures dont la répression appartient à la loi. »
Ces considérations paraissent aujourd’hui bien lointaines. Eloge du devoir de mémoire, multiplication des journées commémoratives, organisation de marches blanches : nous vivons, affirme la juriste Carole Hardouin-Le Goff, dans un monde « hypermnésique ». « Nos sociétés se mobilisent autour d’une quête permanente du souvenir : elles considèrent, notamment dans le domaine de la justice, que la mémoire est vertueuse et l’oubli détestable, estime-t-elle. C’est dans ce contexte que l’espace public a ouvert grand ses portes aux résurgences de la mémoire : les victimes y prennent de plus en plus souvent la parole. Elles affichent leur histoire, elles suscitent la compassion, elles deviennent des icônes. »
La prise de parole des victimes est le fruit d’une petite révolution : depuis le milieu du XXe siècle, la justice accorde de plus en plus de place à cette figure longtemps négligée du droit pénal. « Le procès était jadis centré sur l’accusé et la défense de l’ordre social, constate Mathieu Soula. Mais depuis une quarantaine d’années, l’Etat, en France comme dans beaucoup de pays occidentaux, a été confronté à une demande de reconnaissance émanant des victimes. Il a donc voulu construire une justice plus conforme aux aspirations sociales. Aujourd’hui, elles peuvent se porter partie civile, prendre un avocat, avoir accès au dossier et demander des investigations. »
Pour le magistrat Denis Salas, ce sacre de la victime est lié à l’avènement de la « société des individus ». « Notre époque est caractérisée par une attention à ce que le sociologue et historien Pierre Rosanvallon appelle la “particularité souffrante”. Aujourd’hui, le crime ne se réduit pas à sa matérialité : les magistrats qui jugent un braqueur s’intéressent autant, voire plus, à la dévastation psychique de l’employé qu’au montant du butin. Selon Rosanvallon, cette valeur accordée à la souffrance de chacun est le signe d’une mutation de la société démocratique : aujourd’hui, la solidarité est à la fois un principe d’organisation sociale et une promesse d’attention à la vulnérabilité des individus. »
Cette nouvelle donne a bouleversé le débat sur l’oubli judiciaire. Les victimes contestent en effet les vertus apaisantes du temps invoquées, depuis le XVIIIe siècle, par les partisans de la prescription : nombre d’entre elles racontent au contraire la permanence du traumatisme, la lenteur de la guérison, l’impossibilité de l’oubli. « Elles remettent en cause le sens traditionnel de la prescription : pour elles, le temps attise la souffrance au lieu de la calmer, constate Denis Salas. Voyez les affaires de prêtres pédophiles : le fait que l’autorité chargée de la protection des enfants ait assuré l’impunité au criminel a souillé plus encore les victimes. Avec les années, le scandale, loin de s’atténuer, s’est finalement accru. »
Les victimes accusent en outre la prescription d’entraver leur droit au procès. Parce que l’amnésie, la culpabilité, la peur, la sidération ou la honte freinent l’émergence de la parole, beaucoup de femmes et d’enfants violés trouvent porte close lorsqu’ils se tournent vers la justice car les délais de prescription sont dépassés. Une situation d’autant plus inacceptable que les progrès de la police scientifique permettent aujourd’hui de conserver les preuves pendant de très longues années. Au nom de la protection des victimes, certaines associations demandent donc que les crimes et les délits sexuels deviennent imprescriptibles : l’agresseur pourrait, dans ce cas, être poursuivi jusqu’à sa mort. ---/--- | |
| | | a.nonymous
Messages : 14980 Date d'inscription : 30/05/2011
| Sujet: Re: « Il faut résister aux nouveaux censeurs » et autres tribunes Dim 12 Jan 2020, 17:01 | |
| - Citation :
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Si nul ne conteste que les victimes de délinquants sexuels ont besoin de temps pour énoncer le crime, cette demande laisse bien des avocats perplexes. Beaucoup craignent en effet que l’imprescriptibilité, en bousculant la savante horlogerie du procès pénal, finisse par menacer les droits de la défense. Le droit pénal français, soulignent-ils, a mis longtemps à se défaire de son héritage inquisitorial et policier : en prolongeant indéfiniment les procédures, le législateur pourrait mettre en péril le droit de l’accusé à un procès « équitable » dans un délai « raisonnable », selon les termes de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950. « La justice pénale ne doit pas devenir le bras armé des victimes, résume Carole Hardouin-Le Goff, auteure de L’Oubli de l’infraction (LGDJ, 2008). Elle est au service de la société tout entière. »
Bien des juristes mettent en outre en garde contre la symbolique de cette nouvelle morale politique. Aucun d’entre eux ne nie l’horreur des agressions sexuelles, tous se félicitent de la prise de parole salutaire des victimes, mais beaucoup redoutent que l’imprescriptibilité fasse des violeurs des condamnés à part. « Une catégorie criminelle échapperait désormais au droit commun de l’oubli, souligne le juriste Mathieu Soula. Les délinquants sexuels seraient donc considérés à jamais, non pas comme des condamnés qui peuvent un jour se racheter, mais comme des monstres incorrigibles et inamendables – comme si, en matière de viols ou d’attouchements, le temps ne pouvait en aucun cas faire son œuvre. »
Une seule infraction échappe aujourd’hui à l’implacable loi de l’oubli : le crime contre l’humanité. En vertu d’une loi adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en 1964, il a été solennellement déclaré imprescriptible par « nature ». Les coupables ne se contentent en effet pas d’assassiner, de déporter ou d’asservir leurs semblables : ils nient leur humanité en les excluant à jamais de la communauté des hommes. « L’imprescriptibilité a forgé un ordre commun autour de la condamnation de ce crime situé loin, très loin, au-dessus de tous les autres », précise Mathieu Soula.
Si la délinquance sexuelle échappait à la prescription, elle serait, elle aussi, consacrée par cette « atemporalité » qui permet de penser « un exceptionnel voué à ne jamais pouvoir devenir normal », selon le mot de l’historienne Sophie Wahnich. Les viols et les agressions sexuelles s’installeraient au sommet de la hiérarchie du mal aux côtés des déportations de masse de la seconde guerre mondiale et des génocides du XXe siècle. Ce compagnonnage quelque peu étrange ne choque pas la présidente de l’Association nationale pour la reconnaissance des victimes, Marie-Ange Le Boulaire-Verrecchia : il ne faut pas, estime-t-elle, créer une « échelle de valeurs » entre les crimes contre l’humanité et les autres.
Cette profession de foi méconnaît cependant le sens même de l’imprescriptibilité. « Les agressions sexuelles, aussi abjectes soient-elles, sont des atteintes à la personne, constate Carole Hardouin-Le Goff. Les crimes contre l’humanité sont en revanche des atteintes à l’espèce humaine, ce qui est très différent : les victimes des génocides sont déportées, violées ou exterminées parce que leurs oppresseurs contestent leur appartenance même à l’humanité. C’est pour cette raison que ces crimes qui s’inscrivent à jamais dans la mémoire collective ont un régime de prescription singulier. » Cette distinction n’enlève rien à l’horreur des crimes sexuels : elle énonce simplement que les criminels contre l’humanité sont des ennemis, non seulement des victimes, mais aussi du genre humain.
Anne Chemin https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/01/10/la-prescription-ou-les-limites-de-l-oubli_6025372_3232.html | |
| | | a.nonymous
Messages : 14980 Date d'inscription : 30/05/2011
| Sujet: Re: « Il faut résister aux nouveaux censeurs » et autres tribunes Mar 14 Jan 2020, 10:36 | |
| - Citation :
- Les 400 culs - Eye rape : le viol par le regard
Agnès Giard
A partir de quel moment le regard posé sur vous porte-t-il atteinte à votre intégrité ? Venu des Etats-Unis, le concept de «eye rape» gagne l’Europe. Pourra-t-on bientôt porter plainte contre un regard jugé insistant, dégradant ou non-désiré ?
14 juin 2019, Genève. Lors d’une grande marche pour les droits des femmes, une cohorte d’adolescentes se met à scander un slogan –«Ne nous regardez pas !»–, en faisant tout ce qu’elle peut pour attirer l’attention. Longeant la terrasse d’un café où des gens sont paisiblement attablés, elles redoublent d’énergie –«Ne nous regardez pas !» Fusillant du regard les hommes (héberlués) devant qui elles passent, elles leur intiment l’ordre de détourner les yeux, comme si le fait d’être vues portait atteinte à leur personne. Le spectacle est absurde mais significatif : partant du principe que le «regard masculin» (male gaze) est par essence celui d’un prédateur –un regard qui vous déshabille–, certaines femmes l’assimilent à une forme insupportable de domination.
On pourrait s’en moquer ou s’en inquiéter, au choix. Le fait est que, d’année en année, les sensibilités s’exacerbent. Ce qui nous semblait normal il y a 30 ans devient maintenant scandaleux, au point que –portant un regard rétrospectif sur notre propre vie– nous en venons à nous étonner d’avoir subi sans broncher (et sans séquelles) des traitements qui relèvent désormais du pénal. A l’époque, ce n’était pas bien grave. Maintenant, c’est une «violence». Dans un article passionnant – «Histoire de la violence sexuelle, histoire de la personne» (publié dans l’ouvrage collectif Intimités en danger), l’historien Georges Vigarello dresse le même constat : le concept de violence ne cesse d’être ajusté, au fil de remaniements juridiques qui traduisent le souci croissant, presque schizophrénique, de protéger la liberté individuelle. Mais jusqu’où ce souci peut-il mener ?
Prenons deux cas de viol similaires, dit-il. En 1828, la cour de Besançon doit juger le nommé Gaume qui, profitant du sommeil de la «femme Fallard» s’est fait passer de nuit pour son mari afin de consommer «l’acte du mariage». Il est démasqué et dénoncé au matin. S’agit-il d’un viol ? Les juges admettent que la femme a été abusée, mais refusent de reconnaître Gaume coupable car il n’a pas fait usage de la force. «L’erreur ou le défaut de consentement n’a pas été accompagnée de violence». Presque trente plus tard, rebelote. En 1857, la cour de cassation doit juger un certain Dubas qui s’est introduit de nuit dans le lit d’une femme, à Nancy, en se faisant passer pour son mari… obtenant d’elle tout ce qu’il veut, jusqu’à ce qu’elle comprenne l’erreur, crie, se débatte et porte plainte. Cette fois, les juges tranchent en faveur du viol, «attendu que ce crime consiste dans le fait d’abuser d’une personne contre sa volonté».
En 1828, les juges définissent le viol comme une relation sexuelle accompagnée de violence physique. En 1857, les juges inventent la notion de violence morale qu’ils définissent comme un moyen d’atteindre son but «en dehors de la volonté de la victime». L’importance croissante accordée à la notion de liberté individuelle «conduit très vite, durant le siècle, à réinterroger l’effet des coercitions», explique Georges Vigarello qui cite le Dictionnaire Larousse de 1876 : «Il y a viol toutes les fois que le libre arbitre de la victime est aboli.» Il s’agit, en réaménageant la loi, de protéger le droit qu’ont les individus de disposer d’eux-mêmes. Nous l’avons bien intégré à notre système de valeurs : ce souci nous paraît normal. De la même manière, nous estimons parfaitement juste que la loi interdise à quiconque de nous toucher le sexe ou de nous embrasser les seins (sans permission). L’affaire Soraya, par exemple…
Tout le monde s’en rappelle. Le 14 octobre 2016, l’animateur Cyril Hanouna encourage son chroniqueur, Jean-Michel Maire à embrasser Soraya Riffy. Celle-ci refuse à deux reprises : «j’ai dit non». Cyril Hanouna lui demande «pour quel motif», comme s’il ne suffisait pas qu’elle n’ait pas envie. Elle bégaye une excuse, qui encourage Hanouna à insister lourdement. Jean-Michel Maire finit par se pencher sur elle, «juste un smack» (dit-il), et lui embrasse la poitrine alors qu’elle tend sa joue. En janvier 2018, Soraya Riffy porte plainte. Il s’avère que depuis 1992, en France, le délit de harcèlement sexuel punit «toute atteinte sexuelle [attouchements sur les fesses, les seins ou le sexe] commise avec violence, contrainte, menace ou surprise » (article 222-22 du Code pénal). Dans le cas de Soraya, le baiser a clairement été obtenu par surprise. ---/--- | |
| | | a.nonymous
Messages : 14980 Date d'inscription : 30/05/2011
| Sujet: Re: « Il faut résister aux nouveaux censeurs » et autres tribunes Mar 14 Jan 2020, 10:37 | |
| - Citation :
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De ce «dérapage» télévisuel, beaucoup de spectateurs (hommes et femmes) s’offusquent. «L’accroissement de l’autonomie rend toujours plus intolérables nombre de comportements imposés sans partage, fondés sur une asymétrie relationnelle, transformant en inacceptables brutalités ce qui a pu longtemps être tacitement “accepté”. D’où la remise en cause radicale d’attitudes, de gestes, de comportements, de mots censés brutaliser la victime ou viser son humiliation, jusque-là plus ou moins tus ou vaguement endurés», commente Georges Vigarello. L’exigence est d’ailleurs si forte que, ces dernières années, la loi sur les agressions sexuelles n’a cessé d’être peaufinée, afin que soient interdits tous les abus, même les plus bénins (ou crétins, au choix). Depuis 2012, la définition du harcèlement sexuel s’est d’ailleurs à ce point élargie qu’elle inclut maintenant les notions dangereusement floues de «dignité» et d’«offense».
«Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.» Problème : si un homme, sous couvert de me montrer ses photos de vacances, me laisse voir une photo de lui, nu, dois-je me sentir offensée ? Retournons le problème : si une femme a envie de mater et fréquente le club de gymn pour se régaler des culturistes, est-ce dégradant ? Pris au pied de la lettre, le texte de loi qui définit le harcèlement sexuel ouvre le champ à toutes les plaintes possibles, autorise tous les excès de victimisation. Il est d’ailleurs symptomatique que certaines app encouragent maintenant à dénoncer le «regard» comme une forme de harcèlement sexuel.
A Lausanne, depuis novembre 2019, une app permet de «signaler» à la police toutes les formes d’inconduite sexuelle, telles que : «sifflement», «remarque à caractère sexuel/sexiste», «bruitage, gestes obscènes», «frottement», et… au sommet de la liste, «regard insistant». Cela peut sembler légitime, bien sûr. Sur le site «Paye ta shnek», une contributrice raconte : «des collègues à mon beau-père souvent restent pas loin devant la maison à glander et dès que je passe il me fixe de haut en bas et même quand je me retourne je les regarde droit dans les yeux en mode énervé, ils continuent et c’est flippant…». Le regard, dans ces conditions, peut en effet être terrorisant. Mais est-il bon de le sanctionner juridiquement ? Ainsi que Georges Vigarello le souligne, cette «volonté de redéfinir tout acte d’abus et de domination en y introduisant la loi» fragilise plus qu’elle ne protège les individus. Elle témoigne en tout cas certainement d’une forme de panique collective face aux injonctions impossibles de notre société.
La société exige que nous soyons des individus libres et autonomes, c’est-à-dire disposant de nous-mêmes. La propagande actuelle (qui sacralise la «liberté individuelle» sous la forme d’une liberté de choix réduite au consumérisme) nous encourage à dénoncer tout acte qui fait de nous des «objets» passifs et à condamner toute image qui montre l’humain comme «objet» de désir. Dans notre système de pensée, «objet», c’est mal. Seul le «sujet» est respectable. Le problème, c’est que nous ne pouvons pas tout contrôler dans la vie : impossible de forcer les gens à nous voir (percevoir) tels que nous souhaitons être vu-es (jugé-es). Que faire si untel a de moi une image qui ne correspond pas à celle que j’aimerais donner ? Porter plainte pour «atteinte» à ma volonté ?
Jusqu’où peuvent aller ces lois qui répriment, avec toujours plus de finesse, toutes ces choses qui nous font «violence» dès lors qu’elles n’ont pas été choisies par nous ? Tout en insistant sur la légitimité de lois qui protègent les individus, Georges Vigarello dénonce le fait que ces lois ne soient jamais que les miroirs déformants de nos obsessions. En Occident, nous sommes obsédés par l’idée d’exercer notre pouvoir de décision. Nous voulons tout décider : notre apparence, notre corps, notre image, notre destin et même les contenus auxquels nous sommes exposés (voire la vogue des «signalements » en ligne, permettant de faire supprimer tous «les contenus qui paraissent inappropriés»). «D’où ce vertige possible, dont la société américaine devient un exemple extrême sinon caricatural, modèle illustrant une avancée toujours plus grande de la loi dans les gestes privés au point de punir quelquefois la seule “intention sexuelle” ou même le seul “visual harassment” (le regard trop insistant porté à quelqu’un).» http://sexes.blogs.liberation.fr/2020/01/13/eye-rape-le-viol-par-le-regard/ | |
| | | a.nonymous
Messages : 14980 Date d'inscription : 30/05/2011
| Sujet: Re: « Il faut résister aux nouveaux censeurs » et autres tribunes Mer 05 Fév 2020, 00:34 | |
| - Citation :
- « Avec l’affaire Mila, un vent mauvais s’abat sur la liberté d’expression »
Publié 04.02.2020
Gwénaële Calvès professeure de droit public à l'université de Cergy-Pontoise
Tribune. En France, il est permis – comme chacun sait – de dire, d’écrire ou de chanter qu’on « déteste la religion », que la religion « c’est de la merde », et que Dieu, « on lui met un doigt dans le trou du cul, merci, au revoir ». Ce genre de déclaration, sous une forme souvent plus sophistiquée mais parfois plus brutale, scande depuis des siècles l’histoire culturelle et politique de notre pays.
Et pourtant… Ces propos, diffusés sur Instagram le 18 janvier, par une adolescente qui entendait riposter à des attaques homophobes fulminées par des dévots, ont mis le feu aux réseaux sociaux. Injures, appels au viol, menaces de mort assez crédibles pour que Mila ne puisse même plus se rendre au lycée : la curée a été immédiate.
Cette affaire dit sans doute beaucoup de choses sur l’état de la société française. Son aspect le plus préoccupant, pour l’avenir de la liberté d’expression en France, réside toutefois dans la réaction de la ministre de la justice et du parquet. Elle a, fort heureusement, suscité une levée de boucliers quasi unanime. Mais comment l’expliquer ? Elle révèle, selon nous, l’ampleur des dégâts causés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui défend depuis un quart de siècle une certaine conception du « délit de blasphème ».
La Cour de Strasbourg admet sans difficulté qu’un Etat européen réprime les attaques injurieuses contre la religion – ses dogmes, ses objets de vénération, ses saints et ses prophètes. Les croyants doivent accepter les critiques et les moqueries, car ils évoluent dans une société démocratique définie par « le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture ». Mais ils ne sont pas tenus de subir les attaques « gratuitement offensantes et profanatrices » dirigées contre leur religion (arrêt Otto-Preminger Institut c. Autriche, 20 septembre 1994).
L’Etat peut donc – ou doit ? – les protéger lorsqu’ils sont gravement « insultés », « heurtés » ou « blessés » dans leur sentiment religieux. Il peut – ou doit ? – sévir contre un film qui propose une interprétation érotique des extases de Thérèse d’Avila (Wingrove c. Royaume-Uni, 25 novembre 1996), contre un roman où l’on voit Mahomet autoriser « les rapports sexuels avec une personne morte ou un animal vivant » (I.A. c. Turquie, 13 septembre 2005), ou contre une formation de militants politiques dénonçant les « tendances pédophiles » de Mahomet (E.S. c. Autriche, 25 octobre 2018).
Peut, ou doit ? La position de la Cour européenne reste ambiguë. Ses arrêts portent sur des décisions de justice qui appliquent un droit national – autrichien, par exemple – où l’injure faite à la religion est réprimée. Ils ne concernent en rien les Etats qui n’incriminent pas le blasphème.
Les solutions dégagées par la Cour reposent toutefois sur la consécration d’un « droit à la jouissance paisible de la liberté de religion » qui inclut le droit à la protection du sentiment religieux. Tous les Etats étant également soumis au respect du droit européen des droits de l’homme, ils devraient tous, logiquement, être tenus de rendre cette protection effective…
En attendant le moment – qui n’arrivera sans doute jamais – où la Cour ira au bout de son propre raisonnement, la position du droit français est d’une clarté parfaite : la religion n’est pas protégée contre l’injure (« c’est de la merde »), Dieu non plus (« on lui met un doigt dans le trou du cul, merci, au revoir »). ---/--- | |
| | | a.nonymous
Messages : 14980 Date d'inscription : 30/05/2011
| Sujet: Re: « Il faut résister aux nouveaux censeurs » et autres tribunes Mer 05 Fév 2020, 00:34 | |
| - Citation :
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On ne sait donc pas dans quel ordre juridique se situait la ministre de la justice lorsque, réagissant à l’affaire Mila, elle a affirmé que « l’insulte à la religion est évidemment une atteinte à la liberté de conscience ». Aurait-elle confondu Vienne en Isère et Vienne en Autriche ? Il faut espérer que ce propos aberrant ne traduisait rien d’autre qu’une profonde méconnaissance de notre droit.
A Vienne (Isère), il y eut plus inquiétant encore que le dérapage de la ministre : l’ouverture d’une enquête préliminaire, le 23 janvier, afin de rechercher si Mila pouvait être poursuivie pour provocation à la haine à l’égard d’un groupe de personnes, en raison de leur appartenance à une religion déterminée. L’enquête a été clôturée le 30 janvier, au terme d’investigations dont le procureur ne pouvait pas ignorer qu’elles le mèneraient tout droit dans un cul-de-sac. Il savait d’emblée que la « provocation à la haine » doit se présenter sous la forme d’une exhortation, et non de l’expression d’une opinion personnelle. Il savait, surtout, que l’exhortation à haïr Dieu ou une religion déterminée ne tombe pas, en France, sous le coup de la loi : celle-ci protège des personnes, pas des croyances.
Pourquoi le procureur, sans avoir été saisi de la moindre plainte et en l’absence manifeste de toute infraction, a-t-il décidé d’ouvrir une enquête préliminaire ? Plusieurs hypothèses ont circulé pour résoudre ce mystère : effet pervers de la mobilisation des parquets contre la haine en ligne, geste d’apaisement en direction des musulmans offensés…
Un « effet Strasbourg » nous semble plus plausible. La Cour européenne, en effet, admet de plus en plus clairement que la répression du blasphème peut se justifier par des objectifs de protection de l’ordre public, qui englobent désormais le maintien de « la paix et la tolérance religieuses », la promotion d’une coexistence pacifique entre des groupes de sensibilités opposées, et la construction d’un « vivre ensemble » qui exige des concessions mutuelles. Se taire, par exemple, quand ce qu’on voudrait dire risque de provoquer des conflits.
En 2007, lors de la crise des caricatures de Mahomet, le président Chirac avait appelé Charlie Hebdo à se comporter en « journal responsable ». En 2020, le parquet et la ministre dont il dépend ne semblent plus se satisfaire d’une simple invitation à l’autocensure. Le vent mauvais qui s’abat sur la liberté d’expression ne souffle peut-être pas uniquement de Strasbourg, mais il souffle dangereusement fort.
Gwénaële Calvès (professeure de droit public à l'université de Cergy-Pontoise) https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/02/04/gwenaele-calves-avec-l-affaire-mila-un-vent-mauvais-s-abat-sur-la-liberte-d-expression_6028318_3232.html | |
| | | a.nonymous
Messages : 14980 Date d'inscription : 30/05/2011
| Sujet: Re: « Il faut résister aux nouveaux censeurs » et autres tribunes Dim 08 Mar 2020, 21:40 | |
| - Citation :
- « Une inquiétante présomption de culpabilité s’invite trop souvent en matière d’infractions sexuelles »
Publié 08.03.2020
Tribune. La véhémence polémique qui a suivi la 45e cérémonie des Césars nous oblige, nous qui sommes tout à la fois femmes, avocates et pénalistes : femmes évoluant dans un milieu où se bousculent nombre de ténors pour qui l’adage « pas de sexe sous la robe » n’a guère plus d’effets qu’un vœu pieux ; avocates viscéralement attachées aux principes qui fondent notre droit, à commencer par la présomption d’innocence et la prescription ; pénalistes confrontées chaque jour à la douleur des victimes mais aussi, et tout autant, à la violence de l’accusation.
Nous ne sommes donc pas les plus mal placées pour savoir combien le désolant spectacle de la surenchère oratoire, et la déraison dont elle témoigne, ne peuvent conduire qu’au discrédit de justes causes.
On se pique d’avoir à le rappeler, mais aucune accusation n’est jamais la preuve de rien : il suffirait sinon d’asséner sa seule vérité pour prouver et condamner. Il ne s’agit pas tant de croire ou de ne pas croire une plaignante que de s’astreindre à refuser toute force probatoire à la seule accusation : présumer de la bonne foi de toute femme se déclarant victime de violences sexuelles reviendrait à sacraliser arbitrairement sa parole, en aucun cas à la « libérer ».
Roman Polanski a fait l’objet de plusieurs accusations publiques, parmi lesquelles une seule plainte judiciaire qui n’a donné lieu à aucune poursuite : il n’est donc pas coupable de ce qui lui est reproché depuis l’affaire Samantha Geimer. Quant à cette dernière, seule victime judiciairement reconnue, elle a appelé à maintes reprises que l’on cesse d’instrumentaliser son histoire, jusqu’à affirmer : « Lorsque vous refusez qu’une victime pardonne et tourne la page pour satisfaire un besoin égoïste de haine et de punition, vous ne faites que la blesser plus profondément. »
Et d’ajouter dans cette interview sur Slate que « la médiatisation autour de tout cela a été si traumatisante que ce que Roman Polanski m’a fait semble pâlir en comparaison ». Au nom de quelle libération de la parole devrait-on confisquer et répudier la sienne ?
Cette cérémonie en hommage à la « grande famille du cinéma », lors de laquelle Roman Polanski fut finalement plus humilié que césarisé, contribuera donc à blesser un peu plus celle qui, en vain et depuis plus de quarante ans, tente de tourner la page d’une histoire qui, de fait, n’est plus la sienne. Au nom de quel impératif, voire de quel idéal victimaire, cette victime est-elle sacrifiée ?
Il est urgent de cesser de considérer la prescription et le respect de la présomption d’innocence comme des instruments d’impunité : en réalité, ils constituent les seuls remparts efficaces contre un arbitraire dont chacun peut, en ces temps délétères, être à tout moment la victime. Il n’est pas de postulat plus dangereux que celui selon lequel toute mémoire serait vertueuse et tout oubli condamnable. Homère le savait bien, pour qui « la prescription interdit à l’homme mortel de conserver une haine immortelle ».
La pire des aliénations n’est donc pas l’amour mais bien la haine, et nous autres, avocates pénalistes, connaissons trop bien les ravages qu’elle produit sur des parties civiles qui, espérant surmonter leur traumatisme en s’arrimant à leur identité de victime, ne font en réalité que retarder un apaisement qui ne vient jamais qu’avec le temps.
Il est faux d’affirmer que l’ordre judiciaire ferait montre aujourd’hui de violence systémique à l’endroit des femmes, ou qu’il ne prendrait pas suffisamment en considération leur parole.
Nous constatons au contraire, quelle que soit notre place à l’audience, qu’une inquiétante et redoutable présomption de culpabilité s’invite trop souvent en matière d’infractions sexuelles. Ainsi devient-il de plus en plus difficile de faire respecter le principe, pourtant fondamental, selon lequel le doute doit obstinément profiter à l’accusé.
Le 4 novembre 2019, Adèle Haenel déclare à Mediapart : « La situation de Polanski est malheureusement un cas emblématique parce qu’il est le représentant de la culture. (…) Si la société elle-même n’était pas aussi violente vis-à-vis des femmes (…), la situation de Polanski n’aurait pas ce rôle. » Belle illustration du sacrifice d’un homme à l’aune d’une cause qui, de ce fait, perd une part de sa légitimité. ---/--- | |
| | | a.nonymous
Messages : 14980 Date d'inscription : 30/05/2011
| Sujet: Re: « Il faut résister aux nouveaux censeurs » et autres tribunes Dim 08 Mar 2020, 21:40 | |
| - Citation :
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Tweets après tweets, hashtags après hashtags, ce que nous sentons monter a de quoi alarmer tout authentique démocrate, et nous alarme d’autant plus que nous en percevons déjà les méfaits : le triomphe du tribunal de l’opinion publique.
En un clic et dans un mouvement de surenchère assez malsain, des femmes n’hésitent plus à s’autoproclamer victimes pour accéder à un statut qui induit l’existence de bourreaux tout désignés. Dès lors, pour peu que la justice soit convoquée et qu’elle les innocente, lesdits bourreaux seront doublement coupables d’avoir su échapper à une condamnation.
Nous sommes féministes mais ne nous reconnaissons pas dans ce féminisme-là, qui érige une conflictualité de principe entre hommes et femmes. Sopranos du barreau, nous réussissons chaque jour un peu mieux à imposer notre voix à nos ténors de confrères qui finiront bien par s’y habituer – eux qui, après tout, portent aussi la robe…
Femmes, nous voulons rester libres d’aimer et de célébrer publiquement les œuvres et les auteurs de notre choix. Avocates pénalistes enfin, nous lutterons à chaque instant contre toute forme d’accusation arbitraire qui, presque mécaniquement, pousse au lynchage généralisé.
Frédérique Beaulieu, (barreau de Paris) ; Delphine Boesel, (barreau de Paris) ; Marie Alix Canu-Bernard (barreau de Paris) ; Françoise Cotta (barreau de Paris) ; Marie Dosé (barreau de Paris) ; Corinne Dreyfus-Schmidt (barreau de Paris) ; Emmanuelle Kneuze (barreau de Paris) ; Jacqueline Laffont (barreau de Paris) ; Delphine Meillet (barreau de Paris) ; Clarisse Serre (barreau de Bobigny).
https://www.scribd.com/document/450633583/Liste-des-114-signataires#from_embed https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/08/justice-aucune-accusation-n-est-jamais-la-preuve-de-rien-il-suffirait-sinon-d-assener-sa-seule-verite-pour-prouver-et-condamner_6032223_3232.html | |
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