Défense européenne : le président Macron est un doux rêveur
PUBLIÉ PAR DREUZ INFO LE 14 NOVEMBRE 2018
Le Président Macron vient de tenir des propos sur la défense européenne qui ne peuvent passer inaperçus et qui dénotent une singulière méconnaissance des réalités sauf à rêver tout haut dans un délire utopique et surtout avec la volonté affirmée d’abuser les Français.
Selon lui « on ne protégera pas les Européens si on ne décide pas d’avoir une vraie armée européenne… il faut nous protéger à l’égard de la Chine, de la Russie et même des Etats-Unis ».
La première réaction qui vient à l’esprit – lequel ne peut être qu’un esprit insolent – pourrait être : rien que ça, et d’ajouter sèchement « fermer le ban ».
Mais que lui est-il passé par la tête à ce cher Jupiter, est-il toujours dans les nuages de l’Olympe et en apesanteur pour ignorer les réalités bien connues de tous ceux qui se sont occupés du sujet ?
Mais qu’en pensent nos chers partenaires européens qui n’ont de cesse – il convient de le rappeler – d’acheter des matériels américains ?
L’article 42-7 du Traité de Lisbonne est explicite à ce sujet :
« Au cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire , les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l’article 51 de la charte des Nations unies. Cela n’affecte n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres.
Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, qui reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en œuvre. »
Tout est dit : nos chers partenaires – en dehors de l’Irlande et de la Suède neutres – sont dans l’OTAN et n’ont nulle envie d’en sortir , leur défense c’est l’OTAN et rien d’autre ! Ils ont d’ailleurs aliéné leur indépendance dans la volonté de l’Oncle Sam.
Cette clause n’a pas été introduite dans le traité de Lisbonne que par la seule volonté de l’Angleterre, et si certains pensent que le Brexit peut changer la donne, ils se trompent lourdement; tous les pays de l’Est européens y tiennent mordicus et n’ont d’yeux que pour l’OTAN .
L’attitude de Trump est-elle de nature à changer les choses ?
Que nenni ! Le Président américain grogne comme ses prédécesseurs sur les efforts insuffisants des pays européens, mais il n’a jamais dit qu’il allait sortir et laisser tomber l’Europe comme certains eurobéats naïfs l’espèrent, se disant que les Européens seront alors au pied du mur et devront prendre leurs responsabilités.
La réalité est tout autre : l’OTAN est la première organisation POLITIQUE en Europe et elle est gouvernée par un logiciel américain, ce n’est pas demain la veille que Washington va y renoncer, quelles que soient les foucades de l’actuel locataire de la Maison-Blanche. Faire payer oui, partir non !
Surtout, le prétendu repli de l’Amérique sur elle-même est impossible dans la nouvelle donne géostratégique du village planétaire : tout ce qui surviendrait de grave en Europe aura des répercussions sur les Etats-Unis qui ne peuvent l’ignorer. La crainte d’assister à la résurgence d’ une Amérique isolationniste appartient à un temps révolu. Cette menace, si elle est brandie par des Américains, est une menace en peau de lapin !
Mais poursuivons l’analyse du côté européen et français.
La conception de l’Europe puissance est une utopie du Quai d’Orsay
Une défense européenne suppose un axiome de base : une unité politique sans même parler de gouvernement européen car une armée doit recevoir des ordres clairs et ne peut être engagée que sur une décision politique.
Le Président Macron appelle de ses vœux une souveraineté européenne , voilà une idée d’avenir et que le restera longtemps , c’est une pure chimère !
Je me souviens parfaitement ce que nous a dit Jacques Delors en commission des affaires européennes à l’Assemblée nationale le 6 avril 2011:
« Il n’y aura jamais de politique étrangère commune ; la conception de l’Europe puissance est une utopie du Quai d’Orsay ».
L’Union européenne est une union hétérogène et vouloir en faire un bloc est une faute qui ne peut qu’exacerber les différences et les antagonismes.
Y- a – t- il néanmoins une voie ?
La réponse est celle de la coopération et surtout du renforcement de nos moyens nationaux.
La défense de l’Europe passe d’abord par le maintien de notre crédibilité militaire, de notre force de frappe nucléaire dont la décision de mise en œuvre éventuelle ne peut être partagée sauf à perdre toute crédibilité dissuasive…
En matière de coopération, créer de nouveaux systèmes d’armes est une voie parfaitement possible mais paradoxalement, elle ne doit pas se limiter aux seuls pays européens dont les compétences industrielles ne sont pas suffisantes pour couvrir tout le champ de développement des équipements projetés.
La France (Safran) a su développer avec General Electric (GE) un moteur d’avion qui est un succès mondial sans équivalent, l’Europe n’est pas en matière industrielle un passage obligé !
De plus, pour réussir une coopération il est indispensable qu’il y ait un pilote dans l’avion qui détermine les missions de chaque industriel . Toute coopération fondée sur un principe d’égalité politique est vouée à l’échec .
Enfin, la question des exportations hors Europe est une question délicate, l’exportation des armements est un sujet très sensible qui relève de la politique étrangère mais aussi de considérations de politique intérieure.
La France et l’Allemagne avaient conclu un « accord » en décembre 1971 et février 1972, arrangement Debré – Schmidt, alors ministres de la Défense, stipulant « qu’aucun des deux gouvernements n’empêchera l’autre d’exporter… des matériels d’armement issus de développement ou de production menés en coopération. »
Or l’Allemagne en 2014 a bloqué l’exportation par la société MBDA des missiles antichars Milan ER et la commande de VAB Mark 3 de Renault Trucks défense vers un pays du Golfe !
Aujourd’hui, l’Europe de la défense est loin des idées d’Emmanuel Macron qui veut prendre ses rêves pour des réalités; pis encore, en exposant en permanence des utopies, il ne peut que braquer nos partenaires qui le considèrent de plus en plus comme un agitateur, donneur de leçons arrogant !
En paraphrasant Ernst Jünger, il apparaît que tout chef d’Etat se doit de créer une utopie lorsqu’il a perdu le contact avec la réalité.
Mais les faits sont têtus et la réalité le rattrapera…
Jacques Myard